À Velence, le lac se meurt face à des habitants impuissants
Le lac de Velence, situé au sud-est de Budapest subit de plein fouet le dérèglement climatique. Un drame écologique non sans conséquence pour le tourisme et pour les 7000 âmes de la ville. Certains riverains tentent d’alerter le gouvernement, d’autres partent désabusés.
Dans sa cabane blanche, Blanka s’affère. Des verres en plastique sont empilés sur le comptoir prêts à désaltérer des gorges asséchées par la chaleur. D’un geste sûr, elle sert une famille venue passer la journée dans cette station balnéaire. Face à elle, le lac de Velence. « Quand je veux me sentir bien, j’y vais. Ce lac fait partie de ma vie. » Son sourire ne la quitte plus. Ses yeux verts s’illuminent. « J’ai appris à nager ici. Je suis une enfant d’ici et le voir changer, ça me rend très triste. »
Le lac de Velence, troisième plus grand du pays, fait les frais du dérèglement climatique. Sa surface rétrécit comme peau de chagrin. En trois ans, le lac a perdu la moitié de son eau. Mer locale pour les habitants de Budapest, la région connaît de nombreux événements météorologiques extrêmes. Une succession de jours particulièrement chauds, très tôt dans l’année et un manque accru de précipitations. Le niveau de l’eau est passé d’un mètre trente à moins d’un mètre. La température de l’eau, quant à elle, augmente. Plus de 1,5 degré en cinquante ans. Moins d’eau, plus de chaleur…le niveau d’oxygène chute. Conséquence, l’été dernier, les habitants ont découvert des tonnes de poissons morts remontés à la surface. Une odeur pestilentielle. Ils ont dû eux-mêmes les ramasser à mains nues et les évacuer. Quand elle se remémore cet épisode, Blanka retient ses larmes. La gorge nouée, elle raconte :« Cela a touché tout le monde, ceux qui travaillent et vivent ici. » Les images des poissons ventres à l’air ont tourné sur tous les médias. Faisant fuir les touristes.
« Un autre épisode de poissons morts, et c’est la clé sous la porte. »
Une lente agonie, et ce depuis les années 70. Le gouvernement communiste lance à l’époque des travaux d’ampleur. De lac naturel, l’endroit devient une station balnéaire. 7000 âmes en hiver font place à 40 000 touristes l’été. La région jouit d’un microclimat qui en fait la zone la plus ensoleillée de Hongrie. Au début des années 2010, des guinguettes de plage bleues et blanches viennent remplacer les vestiges des installations à l’architecture post-soviétique. L’endroit dispose désormais de restaurants, cafés, hôtels de luxe et même de spas. Or, si ce développement est bénéfique pour la station balnéaire, cette bétonisation à outrance bouche les vallons naturels. Le lac ne bénéficie plus de l’écoulement naturel de la pluie.
Moins d’eau, moins de poissons et moins de touristes. Une baisse de fréquentation de 70%. Pour Péter Faragó, conseiller municipal indépendant de la municipalité, pas besoin de chiffres, « c’est flagrant ». L’homme tient une boutique de pêche à Velence. Une activité frappée de plein fouet. : « Les années précédentes, le magasin ouvrait à 6 heures 30 du matin, parce que les pêcheurs arrivaient à l’aube. Désormais le magasin est fermé le matin car plus personne ne souhaite pêcher les poissons du lac. » Et les signaux ne sont pas encourageants. « En temps normal, on compte près de 3000 licences de pêche. Cette année, seulement 1200 demandes ont été faites », constate Imre Pál Pálinkás, chargé local de la fédération de pêche. La chaleur étouffante ne retombe pas et certains tentent d’y échapper dans la promenade du centre commercial Korzo longeant le bord du lac. Sur les airs de Please don’t stop the music de Rihanna, la brasserie Pizza and Wurlitzer tente de conjurer le sort. À l’intérieur, les chaises sont vides. Tout comme l’été dernier, les touristes ont déserté ce restaurant. Cette année, le gérant, Dániel, craint le pire. « Un autre épisode de poissons morts, et c’est la clé sous la porte. »
« Si le lac se meurt, je meurs avec »
Peu de touristes, sauf cette mère et sa fille, les pieds dans l’eau. Nóra et Ildikó, respectivement 40 et 25 ans, tâches de rousseurs sur le visage et lunettes de soleil, viennent profiter du calme du lac tant que le niveau n’est pas trop bas. Plus tard dans la saison, elles iront sans doute au lac Balaton « beaucoup plus grand et bien plus attractif ». Or en Hongrie, toutes les étendues d’eau douce subissent le même sort, victimes chacune à leur tour du dérèglement climatique.
Installées en surplomb du lac, Viola et Tamara, adolescentes de 14 ans, mèches roses et appareil dentaire, racontent dans un anglais impeccable : « Ce lac, on le voit tous les jours pour aller à l’école. On vient ici dès qu’on peut. Certains tentent encore de nager, mais on ne se baigne plus comme avant. » Entre leurs bonbons et des cannettes de boissons énergisantes, les deux amies ne se font pas d’illusion : « On sait que le lac est en train de mourir. »
À la gare de Velence, à cent mètres de la plage, les derniers trains menant à Budapest accompagnent la tombée de la nuit. La chaleur écrasante de la journée retombe. Des jeunes se regroupent aux abords du lac. Après une virée au SPAR, les bras chargés de victuailles, ils investissent la plage. Le petit groupe chahute, profitant de la fraîcheur du début de soirée. Pas assez pour déconcentrer Árpád Feher. Son regard perçant ne se détourne pas un instant du lac. Le retraité tient un blog sur l’histoire du lac. « Cet endroit, cette vue, ça représente tout pour moi, si le lac se meurt, je meurs avec », affirme-t-il solennellement.
En attendant la pluie
Tous les locaux comptent sur les précipitations pour sauver la saison estivale, et à terme remonter le niveau de l’eau. À défaut d’averses, certains citoyens tentent d’alerter le gouvernement, comme Tibor Horányi, membre du collectif de préservation des lacs hongrois Alba Nature. Tee-shirt Greenpeace et ordinateur à la main, il dénonce l’enlisement administratif et l’inaction du gouvernement. L’État a refusé d’accorder un budget de 40 milliards de forints, soit 112 millions d’euros afin de sauver le lac. Motif ? La nécessité de relancer l’économie hongroise, durement touchée par la crise du Covid.
Les institutions locales, elles, tentent de faire de leur mieux : « En tant que municipalité, nous n’avons aucune ressource financière pour sauver notre lac. Nous avons peu de pouvoir car l’institution chargée de la gestion du lac est une organisation indépendante, la KDTVIZIG. Le seul pouvoir dont on dispose c’est celui d’informer la population. » développe Péter Faragó.
Alors face à l’inaction de l’État, ils sont nombreux à quitter Velence. Les enfants d’Árpád sont partis en Autriche, et Tibor prépare son déménagement en Espagne avec sa compagne et ses enfants. Blanka, elle, fait partie des rares jeunes à rester ici par amour pour le lieu. Se tournant vers le lac qu’elle aime tant : « On tente de profiter du lac tant qu’il est là. »