Fragments de vie

Du tournage X à la vie perso : dans l’intimité des acteurs porno de Budapest

Connue depuis les années 1990 en Europe pour son industrie pornographique, Budapest accueille chaque année des centaines de jeunes acteurs et actrices, à la recherche d’un tremplin pour faire décoller leur carrière naissante. Certains s’y sont installés, d’autres y multiplient les allers-retours, d’autres encore s’y sont fait un nom et ne sont jamais repartis. 

Irina et Alberto, 25 et 28 ans, sont assis sur le canapé d’une suite luxueuse située dans un hôtel du VIIème arrondissement de Budapest. Blottis l’un contre l’autre, les mains entremêlées, ils ont les yeux rivés sur l’Instagram d’Irina. À côté d’eux : Lola*, une rousse à la silhouette élancée, se fait maquiller. Le tournage va commencer. Ils sont tous les trois acteurs porno et travaillent à Budapest depuis quelques mois. Mais aujourd’hui, c’est avec Lola qu’Alberto tournera la scène, tandis qu’Irina attend son petit ami dans la pièce d’à côté.

« On a toujours été très actifs sexuellement. Baiser, on adore ça. On a commencé il y a un an à faire des vidéos amateures tous les deux et il y a six mois, on a déménagé ici », raconte Alberto dans son appartement budapestois. Avec Irina, ils se sont rencontrés à Madrid, où ils fréquentaient le même groupe d’amis, et sont tombés amoureux. Dès qu’on les voit, on ne peut s’empêcher de se dire qu’ils ont la tête de l’emploi. Elle, physique de mannequin : yeux de biche maquillés, cheveux longs teints en blond, bouche pulpeuse. Lui, corps de bodybuilder : muscles saillants, marcel et short de sport. Ils vivent tous les deux dans un joli appartement du centre de la ville avec Leïa, une femelle pitbull nommée ainsi d’après la princesse de Star Wars et adoptée en Hongrie à leur arrivée.

Alberto et Irina vivent à Budapest depuis six mois avec Leïa, leur pitbull adopté en Hongrie. © Magyarpart

Irina a fait des études de droit en Espagne, où elle vivait chez ses parents, tous les deux médecins. Quand on lui demande si sa famille connaît sa profession actuelle, elle répond : « Ma sœur a vu des vidéos de moi sur internet et a averti mon père. Mes parents ne me parlent plus. Ils sont très stricts, ils ne me laissaient jamais sortir m’amuser, je devais tout le temps travailler. Le porno a été un moyen de gagner mon indépendance. » Alberto est lui aussi issu d’un milieu aisé : des parents haut-fonctionnaires, une scolarité dans des établissements bilingues, des séjours aux États-Unis tous les ans. Sur ses bras, des restes de tatouages, qu’il a tenté d’effacer lorsqu’il ambitionnait de rejoindre l’armée espagnole. Finalement, il n’est jamais devenu militaire. Avant le porno ? « Je ne faisais pas grand chose. J’étais dealer, je me défonçais à la cocaïne et à d’autres substances. » 

Budapest, rite de passage obligatoire 

Les tarifs pratiqués à Budapest sont bien plus élevés que dans le reste de l’Europe. 1000€ la double pénétration à Budapest contre 300 euros ailleurs. Des conditions sanitaires irréprochables : un test ADN pour repérer les MST tous les quinze jours. La ville regorge d’agences spécialisées et de boîtes de production : « l’industrie du porno y est bien plus professionnelle qu’en France », affirme l’actrice Nikita Bellucci, où seuls Dorcel et Jacquie et Michel s’imposent face à des milliers de contenus amateurs. 

Mimi, actrice finlandaise de 24 ans, s’est installée sur les rives du Danube il y a un an. À 18 ans, elle se met à enchaîner les petits boulots après des fiançailles rompues. Auxiliaire de vie pendant le premier confinement, elle perd son travail et commence  à publier des vidéos sur OnlyFans, un réseau social par abonnement, incontournable pour les acteurs débutants. « J’ai toujours été très sexuelle. J’avais des orgasmes à 8 ans ! Dès ma majorité, je postais des nudes [photos dénudées] sur Instagram. Avec mes amis, on rigolait en se disant que j’allais devenir actrice porno. Ce que j’ai finalement fait. »

Pierre Woodman est, avec Rocco Siffredi, acteur mondialement connu et installé à Budapest, « le grand manitou du système », comme l’explique son acteur fétiche David Perry. Ancien policier français, il a fondé sa société de production et vit en Hongrie depuis vingt-neuf ans avec sa femme, ex-actrice porno hongroise, avec qui il a deux enfants. Grand, crâne dégarni, petite bedaine, il réalise, produit, et participe parfois même aux tournages. « C’est un des producteurs qui paye le mieux », assurent Dorian et Cassie, couple d’acteurs passés devant sa caméra et maintenant expatriés aux États-Unis. Mimi, Irina et Lola font partie de ces centaines de « Woodman girls », dont les minois et performances sont classés par catégories sur son site internet aux centaines de vidéos accessibles via un abonnement à 50€ par mois.

Sodo, boulot, dodo 

Ce jour-là, la « Woodman girl » c’est Baby Kitten, une Anglaise de 22 ans. Si elle ne vit pas à Budapest, elle y multiplie les allers-retours : « Je voyage tellement que quand je suis en Angleterre, j’ai l’impression d’être en vacances ! », rit-elle. Ongles manucurés, faux cils, cheveux longs, roses tatouées sur les cuisses, elle se fait maquiller le visage par Gabi, make up artist avec qui Woodman travaille depuis quinze ans. Seule imperfection sur son physique harmonieux : des marques de brûlure sur les fesses, survenues après le tournage d’une scène de carpet fucking (« sexe sur tapis »). En un clin d’œil, Gabi se saisit d’un rouge à lèvres, avec lequel elle écrit « slut » (« salope ») pour cacher ces marques que l’on ne saurait voir. Pierre Woodman, ravi, s’empresse de prendre un selfie à côté du postérieur peinturluré de l’actrice, qui s’en amuse. Debout devant la maquilleuse pour une ultime retouche fessière, Baby Kitten répond aux questions filmées du producteur : « es-tu d’accord pour une double pénétration vaginale et anale ? », « oui », « pour une double anale ? », « oui », « pour des claques sur le corps et le visage ? », « oui ». Cette vidéo de l’actrice exprimant son consentement, une mesure de protection pour le producteur, est une pratique à laquelle chaque Woodman girl est soumise. 

En cas d’imperfections sur le corps, Gabi, la maquilleuse de Pierre Woodman, n’hésite pas à faire preuve de créativité pour cacher les marques et défauts sur la peau. Ici : Pierre Woodman et son actrice. © Magyarpart

De l’autre côté de la suite, située sous les combles d’un hôtel de luxe, patientent deux acteurs. Pas de session maquillage pour ces Français : ça sera injection au pénis pour l’un,  masturbation pour l’autre. Chacun sa méthode pour garantir l’érection tant convoitée. « Tant qu’ils arrivent à bander, je ferme les yeux sur les saloperies qu’ils prennent », lâche Pierre Woodman. Dernière étape avant de commencer à tourner : les échanges de tests MST entre les acteurs. « Un faux test, et l’acteur se fait radier du milieu », assure le producteur avec fermeté. 

Les tournages se déroulent dans des hôtels de luxe, comme ici, ou bien dans des appartements loués pour l’occasion. © Magyarpart

Le bouton REC d’une petite caméra est enclenché, et le spectacle commence. Seuls les acteurs et Pierre, qui filme à la main, sont présents. Corps galbés, effluves de lubrifiant et de fluides corporels, pubis rasés, plaisirs simulés. Deux hommes, une femme et un fantasme bien connu : celui du plan à trois. Entre deux insultes sexistes, s’enchaînent les fellations, les positions acrobatiques, les cris bestiaux. Une heure de show. Car le porno, c’est avant tout de l’acting. « Quand je me fais prendre, je pense à mes courses, ou à ce que je vais faire après », plaisante Irina. Quant au plaisir, il n’a pas sa place dans un tournage, « à part peut-être quand je jouis, mais c’est vraiment minime », raconte Alberto.

De gauche à droite : Gabi, maquilleuse, Pierre Woodman, producteur, Baby Kitten, actrice. © Magyarpart

Une fois la scène terminée et le calme revenu, les acteurs prennent une douche fraîche avant de se rhabiller, récupèrent leur cash, se font la bise et rentrent chez eux, ou partent déjeuner entre collègues. Une journée de boulot classique, en somme. 

« On nous prend pour des tarés, mais on est moins dérangés que la majorité des gens » 

David Perry, 52 ans, vit à Budapest depuis les années 1990. Rasé de près, cheveux bien coupés, “XXX” en référence au film d’action Triple X tatoué sur le bras, il a été repéré par Pierre Woodman dans les rues de Paris. « Pour mon premier tournage, j’avais vraiment la trouille », se remémore-t-il. Aujourd’hui, avec plusieurs centaines de films à son actif, tourner fait partie de sa routine. La retraite ? Il y songe, et s’est dit qu’il quitterait la profession à 60 ans. En attendant, il se fait masser toutes les semaines, fait beaucoup de sport, et voit son fils de 19 ans qu’il a eu avec son ex-compagne hongroise. Quant à sa vie sentimentale, « c’est compliqué ». « Quand je rencontre une nana, je ne lui dis pas tout de suite mon métier. Les gens ont peur, on nous prend pour des tarés, mais on est moins dérangés que la majorité des gens. Alors c’est pour ça qu’on reste entre nous et qu’on fréquente peu de civils. » Quand on lui fait remarquer qu’il parle comme un militaire, il sourit et répond : « Les gens du porno font vraiment partie d’un monde à part. Il y a tellement d’a prioris. » 

Le porno, un monde de tarés ? Il est vrai que certains producteurs, comme Pierre Woodman ou Rocco Siffredi, ont des réputations sulfureuses et sont autant adorés que décriés. Alors quand on évoque les abus qui existent dans le milieu, Mimi affirme : « Si un tournage se passe mal, je peux en parler à mon agent, ou demander à me faire payer davantage. » Elle tient à rappeler que « le porno, c’est du divertissement, pas de l’éducation sexuelle. Il faut le répéter : pas de X avant dix-huit ans ! » Une opinion partagée par Alberto, qui reconnaît le caractère dégradant des scènes tournées : « C’est sexiste pour les femmes, c’est évident. Moi dans ma sexualité, je ne me comporte pas du tout comme ça, et heureusement ! Il y a des jours où je tourne et je n’ai qu’une hâte : rentrer chez moi et faire l’amour à Irina. » 

Dans le futur, Irina et Alberto aimeraient tourner des scènes ensemble. Pourquoi pas même une carrière d’actrice de cinéma pour Irina, « comme cette ex-pornstar américaine qui a joué dans Euphoria », une série américaine à succès. Quant à Mimi, elle rêve de partir travailler aux États-Unis. Pour les acteurs pornos, la Mecque s’appelle Los Angeles : meilleurs tarifs, meilleur encadrement, meilleurs agents. Baby Kitten, elle, ne voit pas si loin : « Je pars à Paris à la fin du mois avec une amie du X pour des vacances, je n’y suis jamais allée, on m’a dit que ça ressemblait à Londres, c’est vrai ? » Quant à David, une fois les 60 ans atteints, il pense ouvrir « un petit restau au soleil, pas loin de la mer. »

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