Kultura

Irréductibles Panelház, ces barres d’immeubles qui séduisent la classe moyenne hongroise

Loin de la fureur de la ville et agrémentés d’espaces verts, les Panelház attirent les jeunes ménages hongrois en quête d’un premier investissement. Un cinquième de la population vit aujourd’hui dans ces lotissements caractéristiques de l’ancien bloc soviétique. En périphérie de Budapest, ils y trouvent une vraie vie de quartier au pied des appartements et des commerces en tout genre. Un mode de vie en réalité moins idéal qu’il n’y paraît.

À Kaszásdűlő, ni église, ni bistrot sur la place centrale. Autour d’une fontaine circulaire, les vieux briscards bronzent sur les bancs publics adossés à la maison de la culture du faubourg d’Óbuda, situé sur la rive gauche du Danube. Seuls les Panelház font de l’ombre à ce tableau. Surplombant la petite place, ces lotissements standardisés hérités de l’époque soviétique rappellent les HLM français.

Dans cet univers bétonné, les retraités peinards observent le défilé quotidien de la nouvelle génération : de jeunes mamans aux commandes de poussettes quatre roues traversent l’esplanade, direction l’aire de jeux. Là-bas s’y tient la vraie place du village.

Pethe Ferenc Tér, la place principale de Kaszásdűlő. © Magyarpart

Les aires de jeux, nouveau lieu commun

« Les terrains de jeux permettent de conserver cette vie de quartier », raconte Viktória, 40 ans, arrivée à Kaszásdűlő en 2015. « Je ne connaissais pas le voisinage, jusqu’à l’arrivée de mon deuxième enfant, il y deux ans », témoigne cette enseignante-chercheuse en littérature hongroise. Depuis, elle emmène chaque matin son petit garçon à l’aire de jeux. Face aux balançoires fatiguées et au toboggan à spirale trop risqué, le bac à sable fait figure de grand favori. De leurs instruments multicolores, les enfants ratissent, arrosent et tamisent la terre siliceuse. Autour, une dizaine de femmes papotent. Une grande majorité a choisi de rester en congé maternité, dont la durée s’étend jusqu’à trois ans en Hongrie. Si certaines souhaitent retourner au travail plus tôt, « la plupart des femmes ne le font pas, explique Viktória. Avec un smic à 130 000 forint net (moins de 350 euros, ndlr), le salaire serait complètement absorbé par les frais de nourrice ou d’une crèche privée ».

Borbála, 22 mois, s’amuse dans l’une des deux aires de jeu du quartier. © Magyarpart

Face à la flambée des prix du logement, ces reliquats de l’ère soviétique s’imposent comme une solution viable pour les jeunes couples en quête d’un premier investissement. Aujourd’hui, un cinquième des Hongrois vivent dans ces barres d’immeubles, composées de béton armé préfabriqué. « Vivre autre part signifierait se rapprocher du centre-ville de Budapest, et donc un logement trop petit pour un loyer trop cher, moins d’espace vert et plus de pollution », ajoute Viktória en ajustant ses lunettes de soleil dans sa chevelure rousse.

Un cadeau du socialisme

Les premiers panels apparaissent dès les années 1960. Dans le cadre du programme éponyme, le régime socialiste construit 800 000 logements. Objectif :  répondre à la pénurie de logement née de l’augmentation de la population. À Budapest, ces colonies de bâtiments sont généralement installées dans les périphéries, toujours le long des lignes de métro ou en RER. Depuis Kaszásdűlő, il suffit seulement de vingt-cinq minutes de transport pour se rendre dans l’hypercentre de la capitale.

À Kaszásdűlő, les panels se hissent jusqu’au dixième étage. © Magyarpart

« Je n’ai pas choisi le panel, le panel était disponible », constate Szilvia, 34 ans, une amie de Viktória en pénétrant dans la cage de l’ascenseur. Comme elle, cette mère d’une petite fille de vingt-deux mois a vécu toute sa vie dans un panel. Malgré des prix de vente plus faibles que dans le centre, ces bâtiments nécessitent presque toujours des travaux de grande envergure. « Finis le lino dans les chambres et le vieux carrelage de la salle de bain. Un bon rafraîchissement était nécessaire », raconte Szilvia ravie. Les murs du 55m2 sont désormais couleur pomme, et le double-vitrage des vitres prolonge la vue sur les collines environnantes.

Le panelhàz, lieu de passage ?

Pire encore : les soucis d’isolation. « Les murs sont en coton, à gauche, on entend le voisin éternuer, pendant qu’à droite un couple fait ses affaires…! », soupire Szilvia en rangeant l’étendoir posé dans le salon. Pour le moment, impossible d’y remédier. Une rénovation thermique comme phonique coûte extrêmement cher, et doit être validée au préalable par un vote de la copropriété.

C’est ce que souhaiterait initier Márk, 23 ans, jeune employé de la chaîne d’info HírTV dont les bureaux se trouvent juste en face de la cité de Kaszásdűlő. « J’entends en permanence ma voisine crier après son chat, le problème étant que je ne sais même pas si elle a véritablement un chat ! », s’amuse le jeune homme. Tout de noir vétû, la chaleur âpre de ces journées de printemps ne semble pas l’atteindre. Il habite en face de l’aire de jeux dans un 27m2 appartenant à son oncle. « Un lieu déprimant, soupire-t-il. « Les pièces sont étroites, le plafond bas et les fenêtres filtrent les quelques rayons du soleil. Je ne me sens pas chez moi. ». Le Panel, une fatalité ? « C’est seulement un lieu de passage, en attendant de quitter la Hongrie ».

La cantine de Tibor

À midi, les braillements des enfants annoncent l’heure du déjeuner. Le cortège des poussettes reprend, et remonte le sentier qui traverse les pelouses ombragées du parc. Quelques blocs orange ou blancs cassés surgissent entre deux vallons. De retour sur Pethe Ferenc Tér, les mères se confondent dans le flot de salariés venu déjeuner dans le quartier.

Car à Kaszásdűlő, on trouve absolument tout : boulangerie, cabinet médical, pizzeria, bars, loto, solariums, maternelle, spar, épicerie etc. Tous sont logés dans un bâtiment attenant de plain-pied. Au centre, le restaurant de Tibor Kövàri est devenu une référence.

Dans cette cantine bon cheap bon genre, locaux en claquettes et cols blancs en bras de chemise se côtoient au son des hits commerciaux des années 2010. « Tout le monde vient ici, même des millionnaires, raconte tout sourire Tibor Kövári, le gérant de 41 ans. L’ancien maire vient déjeuner depuis des années, mais je l’ai seulement reconnu lorsque j’ai vu son visage sur les affiches ! ». Depuis la création d’un parc informatique en 2010 à dix minutes en voiture de Kaszásdűlő, nombre de patrons d’entreprises ont été conquis par sa cuisine. La recette du succès ? Probablement la formule A : une soupe de tomate, un gratin de haricots verts et un « Xixo » – le coca hongrois – pour 1490 forints, soit moins de quatre euros.

Au-dessus de l’aquarium, un graffiti de cuisinier peint au mur invite les clients à s’asseoir sur la petite dizaine de tables en bois. « Je pourrais évidemment faire des aménagements, mais je préfère conserver ma cantine dans son jus afin que le maçon comme le chef d’entreprise se sente bien », raconte cet ancien sommelier au bras gauche tatoué de flammes.

La hausse des prix

Certains midis, Tibor sert seul jusqu’à deux cents couverts dans sa petite salle blanche au mobilier sommaire. Pourtant avec une inflation en constante hausse depuis six mois, la période n’est pas au profit. « Je commande dix kilos de poulet à mon fournisseur pour finalement me retrouver avec seulement 3 kilos le matin », confie-t-il en caressant sa barbe rousse de trois jours.

Des incertitudes que partage Tímea Lippay, 43 ans, tenancière d’un café de l’autre côté de Pethe Ferenc Tér. En à peine six mois, le prix d’un expresso est passé de 290 forint (0,75 euros, ndlr) à 390 forint (1,01 euros). « Après avoir bataillé contre la crise sanitaire, j’espère ne pas déjà mettre la clef sous la porte », s’inquiète cette ancienne entraîneuse de tennis. Pour le moment, la nuée d’adolescents pressés contre le comptoir dès la fin des cours balaie ses quelques tourments.

Le mythe de la maison village

En descendant plus au sud, le soleil finit sa course sur la Faluház. Ses rayons pourpres caressent la façade couleur malachite de cet imposant bâtiment du quartier d’Óbuda. 15 escaliers, 315 mètres de long, 886 appartements : c’est le plus grand panel du pays. Pas de balcons. Seules des loggias débordant de géraniums troublent les murs polis. Dans la galerie extérieure, différentes échoppes se succèdent : coiffeur, marchand de glaces, solarium, assurance etc. Rien ne manque aux plus de trois mille habitants de la « maison village ».

La Faluház domine ce quartier du troisième arrondissement avec ses 14 étages © Magyarpart

Pourtant, « il n’y a rien de spécial à vivre ici », estime László, 58 ans. Les bras croisés sur le comptoir, le regard placide, il garde sa mini supérette comme un temple. Un soulaud hésitant s’approche pour lui acheter sa collation du soir : deux bières et de la pálinka (l’eau-de-vie-traditionnelle, ndlr) en fiole. « Ce n’est pas ma clientèle type », lâche dans un sourire László.

László tient depuis dix ans une supérette dans la galerie de la Faluház. © Magyarpart

Irréductibles Panelház

Installé depuis 2010 à la Faluház, il confie son amertume : « L’atmosphère a changé, les vieux ne sont plus là et la nouvelle génération n’est pas franchement sympa ». Ses yeux bleus célestes ne cillent pas. « Je ne suis plus vraiment ce témoin de la vie quotidienne. Les relations avec les clients sont moins familiales ». Adossé à un pilier vert, László passera le reste de sa soirée à enchaîner autant de cigarettes que de clients absents.

Car dans la moiteur du crépuscule, les habitants de la Faluház ne sont plus que des ombres fuyantes. Seuls quelques hommes retirés s’éternisent sur les bancs des parcs environnants. Le grincement des balançoires a laissé place à celui des fourchettes dans les assiettes. Dès 19 heures, la vie de la « maison village » s’écoute aux fenêtres grandes ouvertes.

Adossé contre l’un des nombreux garages de la résidence, Tamás, 28 ans, fume une cigarette. Ce jeune photographe a acheté il y a cinq ans son premier appartement à la Faluház. « Je n’apprécie pas particulièrement de vivre ici, le centre est à quarante minutes en transport », explique-t-il en recoiffant ses cheveux gominés. Cet investissement était à l’époque le seul possible pour son budget de jeune professionnel. « Pour finir, il s’est avéré très rentable avec la montée des prix du logement à Budapest », concède le jeune homme en jetant un regard vers le haut du bâtiment.

À l’origine grise, la Faluház a été repeinte de vert il y a plus de dix ans en référence aux terrains viticoles sur lesquels elle a été construite en 1970. Une couleur qu’apprécie particulièrement Deniz Günes, 13 ans. Ce qu’elle préfère : « Observer les paysages depuis le 13ème étage. Quand je vois les couleurs, j’oublie la taille de notre appartement, parfois trop petit pour une famille de deux enfants », glisse-t-elle dans un sourire avant de s’élancer vers ses amis de l’aire de jeux.