L’agonie du lac de Velence, symbole du réchauffement climatique
Situé à 45km de Budapest, l’immense étendue d’eau bordée de roseaux qui compose le lac de Velence voit son niveau d’eau baisser de jour en jour. Poissons, oiseaux, plantes… c’est toute la richesse de cette réserve naturelle qui est menacée.
La barque de Zsolt, pêcheur, glisse entre les îlots de roseaux qu’il connaît par cœur. Autour de lui, les oiseaux volent dans tous les sens : hérons, busards, canards et autres espèces qui vivent dans la réserve naturelle du lac de Velence. Zsolt trempe sa main dans l’eau… trop chaude. En ce début du mois de mai, elle atteint déjà les 20°C. C’est six degrés de plus que la normale. « Demain l’eau sera sûrement à 22 degrés,», affirme-t-il le regard inquiet. « Et ça ne va cesser d’augmenter. Cet été la température montera jusqu’à 30 ».
30 degrés, c’est la température qu’a atteint le lac en août dernier. 10 à 15 tonnes de poissons se sont mis à flotter à la surface de l’eau, le ventre tourné vers le ciel. Blanka, 19 ans, travaille à la buvette de la plage, une petite cabane bleue et blanche en bois délavé. Pour ne pas voir ses clients fuir, elle a participé à l’évacuation des poissons morts. Un souvenir dont elle n’arrive plus à se défaire. « L’odeur était si forte, c’était à la fois insupportable et tellement triste. On a pris des gants, des masques, et puis on s’est lancés ».
Malgré les efforts des habitants pour nettoyer l’eau, le lac de Velence a perdu la majorité de ses touristes. Situé à trente minutes de la capitale, il est un des lieux préférés des Budapestois. Traditionnellement on vient s’y promener, profiter de la nature, passer une après-midi à la plage. Mais aujourd’hui, l’endroit est quasiment désert.
Une réserve naturelle en danger
Avec son tee-shirt Greenpeace vert et jaune fluo, Tibor annonce la couleur de son engagement. Ingénieur environnementaliste et membre de l’association Alba Nature qui agit pour la protection des lacs du pays, il passe le plus clair de son temps libre à se creuser la tête pour préserver le lac Velence et sa biodiversité.
Un lieu où il vient trois à quatre fois par semaine, faire du vélo, glisser en paddle sur l’eau, ou encore jouer avec ses enfants. La catastrophe de l’été dernier, il l’a analysée de près : « Les jours chauds sont arrivés trop vite, et ont été plus forts que d’habitude », soupire-t-il, les yeux rivés sur les relevés météo affichés par son ordinateur. « Le niveau d’eau du lac était déjà très bas, il s’est donc réchauffé rapidement, les poissons ont manqué d’oxygène… et n’ont pas survécu ». Brochets, sandres, carpes, la majorité des poissons du lac ont disparu. Pour Tibor, c’est « une véritable extinction ».
Mais les poissons ne sont pas les seuls à être touchés, c’est toute la réserve naturelle qui est en danger. Plusieurs oiseaux sont venus se nourrir des poissons morts et ont attrapé le botulisme : une maladie qui paralyse l’animal… jusqu’à sa mort. Les roseaux sont eux aussi très marqués par cet épisode de sécheresse, et ne remplissent plus leur rôle naturel de purification de l’eau. À mesure que ces épisodes extrêmes prennent de l’ampleur, l’eau du lac devient de plus en plus toxique. Son pH est aujourd’hui extrêmement élevé, et la chaleur encourage le développement d’algues vertes : un véritable cercle vicieux.
Le niveau d’eau du lac ne cesse de baisser
Sur les bords du lac, la baisse du niveau de l’eau est clairement visible. Viola, 14 ans, le longe chaque jour pour aller au collège. « L’an dernier, l’eau arrivait jusqu’à la marche ici », pointe-t-elle du doigt, 20 centimètres plus haut que le niveau actuel. « Quand j’étais toute petite, on allait nager dans le lac », se souvient-elle avec un sourire. « Aujourd’hui c’est impossible, l’eau nous arrive à peine à la taille ».
Ces deux dernières années, le lac a perdu près de la moitié de son eau. La raison ? Des jours toujours plus chauds d’années en années, alors que les périodes de pluie se raréfient. Dans la partie sud-ouest du lac, la réserve naturelle s’est presque entièrement asséchée. L’herbe a jauni et la terre craquelé sous le coup de la chaleur. Au milieu du lac, un héron se pose, l’eau ne lui arrive pas plus haut qu’à la moitié des pâtes.
Mais le problème ne date pas d’hier. Árpád, sexagénaire, vit ici depuis toujours. Passionné par ce lieu, il publie sur son blog des articles pour partager l’histoire du lac. Le niveau ? Bien sûr qu’il a remarqué sa baisse. Sans prévenir, le vieil homme part d’un pas pressé, faisant signe de le suivre. Il traverse la plage artificielle, le centre commercial, pour s’arrêter sur le parking. « C’est ici », dit-il les lèvres pincées. « C’est ici que mon père attachait son bateau, il y a 50 ans ». Nous sommes à 70 mètres du rivage actuel.
Sauver le lac de Velence
En 1975, deux lacs artificiels, celui de Pátka et celui de Zámoly, ont été créés au nord de Velence. Ils devaient, à l’origine, servir à pallier les fluctuations naturelles du niveau de l’eau du lac. Mais avec le temps, ses riverains se sont habitués à fréquenter ces lacs et les pêcheurs s’y sont installés. Plus question de les vider pour aller sauver le voisin de Velence.
Plusieurs autres solutions sont aujourd’hui mises sur la table : rediriger les eaux dures du Danube pour relever le niveau d’eau du lac, planter des roseaux en bonne santé pour purifier l’eau ou nettoyer les boues en profondeur du lac pour améliorer la qualité de l’eau.
Pour Peter Faragó, conseiller municipal de Velence, « la solution doit venir du gouvernement hongrois, car les municipalités locales n’ont pas assez d’argent pour gérer ce problème. Mais pour l’instant, ils n’ont aucun plan tangible. Ils proposent une idée différente chaque jour… ». Plusieurs hypothèses ont en effet été avancées par le gouvernement, comme creuser dans le sol pour utiliser les eaux souterraines afin de rehausser le niveau d’eau du lac.
« Notre seul espoir, c’est la pluie »
Le lac de Velence est le plus ensoleillé du pays, ce qui lui vaut le surnom de Nap-tó (Lac Soleil). Un microclimat idéal pour développer le tourisme. Mais à mesure que le réchauffement climatique gagne du terrain, cet avantage tourne au cauchemar. « Ces derniers jours il a plu partout autour du lac, à Budapest ils ont eu des orages, mais nous rien. On dirait que la pluie ne veut plus tomber ici », raconte Imre Pálinkás, chargé local de la fédération nationale de pêche MOHOSZ, en haussant les épaules.
Sur son smartphone, il nous montre une carte du pays : « Là, vous voyez cette zone grise, ça signifie que c’est l’endroit où il y a le moins de pluie dans le pays, et si on zoome… c’est chez nous, c’est le lac », explique-t-il en pointant la zone du doigt. Comme beaucoup de locaux, Imre craint que les événements de l’été dernier ne se répètent.
À ce jour, les espoirs des habitants de Velence sont avant tout tournés vers le ciel. « Le sauvetage du lac n’est pas une priorité pour le gouvernement, ils ne nous donneront pas de solutions rapidement. Pour l’instant, on ne peut faire confiance qu’à la pluie », dit-il sans quitter le lac des yeux. « Il nous suffirait d’un gros épisode de pluie et tout serait réglé. C’est le meilleur espoir que nous ayons ». Mais ce jour-là, dans le ciel de Velence, pas un nuage à l’horizon.