Fragments de vie

À Budapest, les étudiants à la débrouille pour se loger

En six ans, les prix des loyers ont doublé en Hongrie. À Budapest, où la flambée est la plus importante, les étudiants subissent cette crise de plein fouet et peinent à se loger convenablement.

L’ascenseur s’ouvre sur un long dédale de portes. Sur chacune d’elles, un nombre inscrit et quelques affiches placardées. En cet après-midi, au fond du couloir tapissé de bleu, une tête se glisse dans l’entrebâillement de la chambre «1107». Sans un bruit, Anita Baller appuie sur la poignée et s’extirpe lentement de la pénombre, un doigt sur la bouche. «Il vaut mieux ne pas faire de bruit, l’une de mes colocataires s’est endormie», chuchote l’étudiante en informatique depuis le onzième étage du Schönherz Kollégium, l’un des dortoirs de l’université Polytechnique et économique de Budapest (BME).

Comme la jeune femme de 22 ans, un millier d’étudiants vont-et-viennent derrière la façade sertie de centaines de fenêtres de l’immeuble, planté sur la rive gauche du Danube. Entre les dix-huit étages de l’imposant bâtiment, «il y a toujours du mouvement», s’enthousiasme Anita, les yeux rivés sur une porte d’où s’échappe un lointain vacarme. La passionnée de cybersécurité s’approche doucement, frappe de légers coups sur le bois clair et entre dans la pièce. Des effluves de sucre se font sentir. Amassés autour d’une gazinière, une petite dizaine d’élèves se retournent et esquissent un timide sourire avant de replonger à la hâte dans leur recette. «Il y a souvent du monde mais, heureusement, la majorité de ceux qui habitent au dortoir ne cuisine pas», s’amuse Anita, admirant une rangée de bouteilles fièrement dressées face à elle.

Des loyers devenus trop élevés

Au Schönherz Kollégium, près de 70 élèves de l’université BME se répartissent par chambre de quatre sur chaque étage. Ils s’y partagent salon, cuisine, salle de ping-pong et machines à laver. «Un peu plus bas, il y a aussi un gymnase, un sauna, un bar et même un studio d’enregistrement», détaille gaiement la jeune ingénieure, dont les parents ont récemment déménagé à une quarantaine de minutes de Budapest. Elle s’est installée dans ce dortoir il y a trois ans pour «seulement 26 euros par mois». Une chance pour Anita. Malgré ses 30 heures hebdomadaires dans une entreprise de télécommunication et ses 515 euros mensuels de bourses, elle ne peut s’offrir «un appartement privé dans la ville pour, au minimum, 350 euros». Dans toute la capitale, «les loyers sont devenus insensés», insiste-t-elle, laissant derrière elle des éclats de rire envahir la cuisine.

En six ans, mis sous pression par la croissance de l’économie et un accès plus difficile à la propriété, les prix des locations ont doublé en Hongrie. La tendance est d’autant «plus marquée à Budapest où, en mars 2022, les loyers étaient encore en hausse de 18,9 %», souligne Péter Virovácz, économiste. Face à un loyer moyen de 440 euros dans la capitale, les Hongrois et leurs 750 euros de salaire médian peinent à se loger. Les 300 000 étudiants du pays, peu soutenus par le gouvernement, subissent cette crise de plein fouet. En réponse, pas moins de 24 % d’entre eux se ruent sur les 44 400 places disponibles dans les dortoirs universitaires, héritage de la Hongrie communiste.

Peu de rénovations

Fille d’une mère enseignante et d’un père sableur, Vanda Farkas, elle, a «toujours rêvé de vivre dans un dortoir». Au quatrième étage du Lengyel Guyla Kollégium, bâtiment de l’université d’Économie de Budapest situé au sud de la ville, l’étudiante en tourisme et ses trois amies vivent pourtant à l’étroit. Avec deux lits superposés, quatre chaises, une table et trois étagères surchargées de bibelots, leur chambre d’une vingtaine de mètres carrés laisse peu de place à l’intimité. «Il faut savoir être discret, ne pas se coucher trop tard ni se lever trop tôt», résume la jeune femme de 20 ans, qui loue cet espace pour 23 euros par mois. «Le plus difficile reste de vivre en communauté. La cuisine est souvent sale et il m’est déjà arrivé d’avoir de très mauvaises surprises dans la salle de bain», lâche Vanda dans un rictus de dégoût.

Depuis la chambre «412», celle qui rêve de devenir guide touristique profite du calme de l’immeuble, inhabituel en cette fin de journée. Dos aux deux larges fenêtres qui illuminent la pièce, elle jette un rapide coup d’œil aux photographies dispersées sur les murs. Entre elles, reflétés par le soleil, des tâches et accrocs se détachent de l’étendue blanche. Une usure courante dans ces bâtiments où «depuis trente ans, peu de rénovations ont été engagées par l’Etat» malgré des besoins grandissants, pointe Dániel Oross, chercheur en sciences politiques à l’Académie hongroise des sciences. 

Vanda, originaire de la ville de Kalocsa, s’est installée dans la chambre «412» en septembre 2020. © Magyarpart

Chaque semestre, 10 000 places manquent dans les dortoirs budapestois. Pour y remédier, le gouvernement a lancé en 2016 un projet de construction de 12 000 lits en marge de la ville. Il a depuis été abandonné au profit de l’implantation d’une antenne de l’université chinoise Fudan, laissant les étudiants «sans aucune chance de trouver un logement abordable», s’indigne Milan Nesic, coordinateur du syndicat Hallgatói Szakszervezet.

«Tout est pris en compte»

« Chaque semestre, la sélection est très rude ». Adossée à la structure boisée de son lit, recouvert de peluches et d’habits, Vanda fait difficilement la liste des documents à fournir pour compléter son dossier d’inscription. «Revenus, lieu de résidence des parents, nombre de frères et sœurs, problèmes médicaux et résultats universitaires : tout est pris en compte», soupire l’étudiante, aidée chaque mois par ses parents et ses 155 euros de bourses. Après avoir échoué dans deux de ses cours, Vanda, originaire de Kalocsa – à une centaine de kilomètres de la capitale hongroise – craint de perdre certaines de ses aides et sa place au Lengyel Guyla Kollégium.Revenus, lieu de résidence des parents, nombre de frères et soeurs, problèmes médicaux et résultats

Chaque semestre, la sélection est très rude.

Vanda Farkas, étudiante

En plein centre-ville de Budapest, Virág Hellenbarth n’a jamais été acceptée dans un dortoir en raison de «la proximité de certains membres de [sa] famille avec la capitale». Assise en tailleur sur un large sofa, une cigarette à la main, l’étudiante en pédagogie à l’université Eötvös Loránd reste impassible aux sons stridents des sirènes qui s’infiltrent par la fenêtre entrouverte. La femme de 24 ans, installée depuis deux ans dans le coeur de la ville, s’est habituée aux tumultes citadins. Autour d’elle, éparpillés dans la pièce, quelques modestes meubles et du linge négligemment étendu dénotent avec l’opulence de l’appartement où elle cohabite avec deux autres étudiants. Virág, qui ne bénéficie d’aucun soutien financier de sa mère femme de ménage et de son père dans l’informatique, «loue cette chambre pour 240 par mois à la famille d’une amie». Une aide sans laquelle elle devrait, comme beaucoup, s’exiler plus en dehors de la ville. 

Depuis son arrivée à Budapest en 2016, Virág a toujours vécu en colocation. © Magyarpart

Sous une guirlande «Joyeux Anniversaire» tendue de part et d’autre de la pièce, Virág  pointe du doigt le lit campé à l’opposé de la pièce. L’année dernière, souffrante pendant plus d’un mois, elle y est «restée allongée des semaines sans pouvoir assurer [ses] trois jobs à temps partiel». Sans ses revenus habituels – dont elle tire jusqu’à 1 000 euros par mois – ni bourse d’études, «trop compliquée à demander», l’étudiante n’a pas pu verser son loyer. Des difficultés récurrentes en Hongrie : 20 % des jeunes locataires peinent régulièrement à payer leur propriétaire, d’après le groupe de recherche Aktív Fiatalok.

Deux heures de trajet faute d’appartement

À plusieurs centaines de mètres de là, sur les quais de la gare Nyugati de Budapest, le train S70 se met en marche. Entre les nombreux passagers, une frêle silhouette se fraye un chemin. Le regard attentif aux moindres mouvements, Ramóna Gyurik cherche désespérément un siège libre. L’étudiante à l’université des Sciences du sport se rend à Dunakeszi, petite ville de 44 000 habitants aux abords de Budapest où elle vit avec sa famille. «Il me reste encore une trentaine de minutes de trajet», souffle-t-elle avant de s’installer dans les marches du wagon, espérant le départ d’une poignée de voyageurs. Pour sa première année d’études supérieures, la sportive de 20 ans habite encore chez ses parents – journaliste et jardinier – comme 41 % des étudiants hongrois selon une enquête de l’Aktív Fiatalok. Avec ses 260 euros de salaire pour son emploi dans une boutique de sport, Ramóna ne peut s’offrir seule un logement, même en banlieue de Budapest.

Un bus, un train et deux tramways. Chaque jour, lorsqu’elle a cours, Ramóna enchaîne plus de deux heures de transport aller-retour pour se rendre à plus de 25 kilomètres de chez elle, dans les hauteurs de la capitale. Un rythme «fatiguant», surtout lorsqu’il faut «se lever à 6h pour ne pas arriver en retard». Pour éviter les longs allers-retours vers son école, l’étudiante suit la majorité de ses cours à distance. Ce choix l’empêche d’«accéder au système de bourses prévu par [son] université», insiste-t-elle, d’un air las, alors que l’annonce de la station Dunakeszi-Gyártelep résonne dans le wagon désormais déserté. Le train ralentit et l’étudiante en descend rapidement. Sur le quai de la gare, surplombant les rues alentour, Ramóna se presse. Elle ne veut pas rater le prochain bus, celui qui doit enfin la ramener au pied de sa maison.