Fragments de vie

Industrie du X : Budapest, après l’âge d’or, une ville tremplin pour se lancer dans le porno

Au début des années 2000, Budapest était l’épicentre du porno européen. Si la capitale hongroise reste incontournable, elle est désormais considérée par de nombreux acteurs et actrices comme un point de départ vers une carrière internationale. 

Assis à la terrasse d’un café, T-shirt col V, jogging cintré et muscles saillants, David Perry pourrait être coach sportif. Pourtant, le Français expatrié en Hongrie depuis presque trente ans est une star du porno européen, avec plusieurs centaines de films à son actif. Nostalgique, il se remémore l’ambiance qui régnait dans la capitale hongroise à la fin des années 1990 : « Tout le monde venait à Budapest faire du porno, il y avait des productions issues de l’Europe entière. On tournait des films qui alignaient un million d’euros de budget, c’était complètement dingue ! », s’exclame-t-il. 

Désormais, le porno budapestois a tourné la page des grandes productions. Clap de fin pour les films de plus d’une heure mettant en scène des acteurs en costume d’époque, dans des orgies romaines ou des boudoirs libertins. L’œil pétillant, David Perry raconte avec enthousiasme ces années fastes : « C’était du cinéma ! Il y avait des maquilleurs, des cadreurs, des caméramans. Nous devions tenir un scénario, apprendre des textes. Maintenant, on est vraiment loin de ça. »  Aujourd’hui, les scènes se déroulent dans des appartements loués avec une équipe réduite au strict minimum. Parfois, dans des hôtels de luxe, il n’est pas rare que clientèle cossue de ces établissements croise sans le savoir les membres d’un tournage. 

Le regard de l’acteur s’assombrit. « Internet a tout changé. On doit répondre à une demande énorme, la concurrence est partout. On est passé d’un petit milieu à une industrie de masse. » Dans le milieu des années 2000, l’arrivée d’Internet a fait l’effet d’une déflagration. Les productions pornographiques diffusées dans les cinémas spécialisés ou vendues en VHS et en DVD n’ont pu rivaliser avec la déferlante des sites internet offrants des milliers de vidéos accessibles gratuitement, en trois clics. 

Attablé dans un restaurant du centre, dévorant son assiette de travers de porc XXL, Pierre Woodman, visage rond et crâne dégarni, admet que l’âge d’or du X  hongrois est terminé. À la tête d’un véritable empire, il produit chaque année plus d’une centaine de vidéos. Conditions pour les visionner : s’inscrire sur son site personnel Woodman casting, mais aussi débourser près de 50 dollars par mois.

Installé à Budapest depuis le début des années 2000, Pierre Woodman (à gauche) produit plusieurs vidéos X par semaine.©Magyarpart

Le Français est connu mondialement pour faire démarrer les acteurs et actrices novices. Entre-deux bouchées, le producteur autant critiqué qu’admiré pour son style hard ne cache pas sa rancœur envers les sites diffusant des contenus X gratuitement : « Les plateformes qui hébergent ces vidéos pornos sont la plupart du temps des voleurs. Ils diffusent des vidéos piratées. Quand je vois certaines de mes productions sur ces sites, je m’en fous, je dégaine de suite. J’attaque en justice. »

À l’évocation des revenus dégagés par cette activité en ligne, acteurs et producteurs restent tous discrets. Dans un milieu où le sexe est omniprésent, l’argent est tabou.

Une ville tremplin 

Le téléphone scotché à sa main, cheveux blonds et regard polaire, Mimi Cica, une actrice X finlandaise de 24 ans, installée à Budapest depuis un an, scrute machinalement sa page Instagram. « Les réseaux sociaux, c’est notre vitrine. D’un côté, nos fans suivent notre carrière et peuvent avoir un aperçu de notre travail. De l’autre, c’est aussi un moyen de se faire repérer par des producteurs ou des studios », pointe-t-elle. Pour la jeune actrice, la capitale hongroise n’est qu’un point de passage vers une carrière internationale. 

Mimi Cica, comme l’ensemble des jeunes travailleurs du X, a un objectif : partir aux États-Unis pour y poursuivre sa carrière. À cette évocation, elle peine à cacher son enthousiasme. « Les États-Unis, c’est le but ultime pour quelqu’un qui  fait du porno, les salaires y sont plus élevés qu’en Europe. Budapest, c’est juste une étape », insiste-t-elle. 

Dans l’industrie du porno, les salaires dépendent des pratiques. En moyenne en Hongrie, une actrice peut gagner près de 600 euros pour une scène vaginale. Mais selon les pratiques (anale, double pénétration, gangbang, etc…), le cachet peut atteindre 1200 euros. Aux États-Unis, les tournages sont plus nombreux et les tarifs sont en moyenne entre 20 % et 30 % supérieurs aux prix pratiqués en Europe.   

Les conditions de travail y seraient plus sûres aussi. Mimi Cica explique ne jamais avoir été victime d’abus pendant l’un de ses tournages, mais l’aspect « procédurier » des studios américains représente à ses yeux une sécurité. « En Amérique, toutes les pratiques sont stipulées avant le tournage. Pour une actrice, c’est un véritable avantage. Cela permet d’écarter tout abus », souligne-t-elle. A contrario, rares sont les productions européennes à mentionner avec précision et à l’avance les pratiques attendues pour une scène. 

Dopage et stéroïdes 

Marcus* approche de la trentaine et rêve aussi d’une carrière aux États-Unis. Pour atteindre cet objectif, et se faire remarquer par un producteur, il ne recule devant aucun sacrifice. Assis dans son salon avec sa compagne, un joint dans une main et un verre de bière dans l’autre, il reconnaît s’injecter des stéroïdes afin de préserver son corps sculpté par de longues heures en salle de musculation.

En Hongrie, un flacon de stéroïdes coûte environ 20 euros. ©Magyarpart

Dans le X, les corps bodybuildés sont la norme. Tout en discutant, Marcus regarde sa montre et discrètement, il sort d’une étagère une seringue et va chercher dans son frigidaire un flacon. L’air de rien, il confirme que le produit est un stéroïde. Il pose son joint, se tourne vers celle qui partage son quotidien. Sans un mot, elle se saisit de la seringue et lui injecte le liquide. 

C’est le prix à payer pour percer dans ce monde

Marcus

Marcus admet sans gêne prendre du Trimix, un mélange de trois médicaments injectables, utilisé pour traiter la dysfonction érectile qui lui permet de faire durer ses érections durant plusieurs heures. La prescription de ce produit est extrêmement encadrée. 

Sous le manteau, les 10 ml se négocient aux alentours de 400 euros. La liste des effets secondaires est longue : troubles du métabolisme et de la nutrition, affection du système nerveux et risque d’arrêt cardiaque, etc. Ces complications n’inquiètent pas Marcus. « C’est le prix à payer pour percer dans ce monde », lance-t-il avec sérieux.

« Le Lidl du porno »

Un monde où le rythme semble effréné. Le mot « abattage » revient souvent dans les propos de Dorian et Cassie Del Isla, un couple d’acteurs français passé par Budapest entre 2017 et 2019 et depuis à Los Angeles . Ils décrivent des tournages où les acteurs et actrices doivent enchaîner plusieurs scènes. « Quand on y pense, c’est complètement fou. Dans certains tournages, les acteurs n’ont aucune pause. Aux États-Unis entre deux scènes, j’ai le temps de prendre un café et de me reposer quelques minutes », précise Dorian. Avec une pointe d’humour, Dorian déclare : « On a une blague avec Cassie, c’est de dire que Budapest est le Lidl du porno. »

Certaines agences n’hésitent pas à envoyer leurs actrices chez des particuliers.

Cassie Del Isla

De son côté, Cassie se rappelle de la pression omniprésente des producteurs et apprécie davantage les conditions de tournages au sein des studios américains. À leurs yeux, Pierre Woodman est une exception à Budapest. « Il a ses détracteurs, mais dans cette ville, il est le seul à payer et traiter correctement les actrices », souligne le couple. 

Avec un temps d’hésitation, Cassie esquisse un dessin encore plus sombre de la scène X budapestoise : « Certaines agences n’hésitent pas à envoyer leurs actrices chez des particuliers. » L’actrice en a elle-même fait les frais. « Mon agence m’avait dit de me rendre dans un hôtel pour faire une scène de fellation. Un tournage carré avec une équipe sérieuse. C’était tout l’inverse. Je me suis retrouvé dans une chambre glauque avec un homme assis dans un fauteuil et tenant à la main un caméscope. » Parfois, à Budapest, entre prostitution et pornographie, la frontière est fine.

*Le prénom a été modifié 

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