Résistance

Le jardin du Climat, à la rescousse des Budapestois du centre-ville

Au cœur de Budapest, les habitants façonnent un jardin rafraîchissant en prévision du réchauffement climatique. Une initiative rare, nécessaire et pourtant menacée face à une municipalité qui ne tient pas ses engagements en matière d’environnement.

Le jardin du Climat est une mini-forêt en devenir. Loin de l’image d’un jardin communautaire aux allées cadrées de plantes, ses 160 arbustes poussent de manière anarchique. Difficile de se frayer un chemin sans traverser des nuées de moucherons et autres insectes en tout genre.

Cet ancien parking réhabilité par le centre social Auróra dans le 8ème arrondissement est unique. Le quartier, central et populaire, est dense et bétonné. Partout résonnent les sirènes des ambulances et le bruit des moteurs de voitures. Dans cet oasis loin de l’agitation urbaine, les bénévoles aident la nature à reprendre le contrôle sur un sol parsemé de gravier. L’objectif à long terme : permettre aux gens du quartier de bénéficier gracieusement d’un jardin possédant son propre micro-climat en période de canicule. 

À Budapest, les températures moyennes oscillent entre  26°C et 28°C tout l’été, des périodes de fortes chaleurs vouées à se multiplier à cause du réchauffement climatique. Lors d’une journée caniculaire, les températures peuvent atteindre 40°C. Le jardin , totalement à l’ombre grâce à ces plantations, pourrait garantir jusqu’à 10°C de moins.

Marc Richard, un américain expatrié en Hongrie, est le chef de ce projet lancé il y a deux ans. L’homme aux mains abîmées par la terre, creuse, plante, et photographie le retour de la faune trois jours par semaine. En 2019, la directrice d’Auróra, Zsuzsa Mekler, contacte cet ancien gérant d’un des trente jardins communautaires de la ville  pour transformer cette friche en espace vert. 

« C’était une opportunité en or, c’était visionnaire ! », s’exclame l’apprenti jardinier, prêt à déverser le contenu d’un cageot de compost à l’odeur pestilentielle. Pour ce bénévole, cette initiative était un moyen d’agir à son échelle face à l’urgence environnementale. Sa prise de conscience écologique, il la doit à ses enfants. 

Ce père de deux filles redoutait qu’elles ne lui pardonnent pas son inaction climatique. En 2019, Marc fait une dépression qu’il explique par son éco-anxiété, une angoisse liée à la crise du climat. La proposition de Zsuzsa apparaît comme un signe et l’aide à traverser cet épisode dépressif.

Réapprendre à planter

À l’entrée du jardin est inscrit sur un panneau « Est-ce-que tu fais pousser un égosystème ou un écosystème ? » En référence à la philosophie agricole singulière du lieu. Marc et les bénévoles ne plantent pas pour produire des denrées alimentaires et ne sont pas en quête d’esthétisme. Pour le moment, ce futur espace vert rafraîchissant est simplement une « leçon de jardinage ».

Plusieurs mètres de goudron se trouvent sous les dizaines de centimètres de terre, le sol doit être « soigné ». Les plantes indésirables sont ici les bienvenues, les pissenlits régulent l’acidité du sol, les orties absorbent le compost en excédent et les trèfles produisent de l’azote, la nourriture des plantes.

Très fier de ce qu’il surnomme « la forêt d’Aurora », pour Marc « l’ancienne génération doit tout réapprendre », en référence aux jardins communautaires, adeptes des pesticides.

Si une plante réussit à pousser dans ces terres abîmées,
c’est le signe de son utilité.

Mark Richard

Le roi du compost, comme le surnomme les bénévoles, s’agace : « Les plantes sont des extensions du sol. Si elles poussent c’est pour une bonne raison, les mauvaises herbes n’existent pas ! »  Si une plante réussit à pousser dans ces terres abîmées, c’est le signe de son utilité.

Le compost récolté auprès des voisins contient divers fruits et légumes, les graines qui réussissent à pousser donnent une indication sur l’état des sols. Cet automne, Marc a eu la surprise de découvrir des plants de citrouilles dans le fond du jardin. Promesse d’un futur meilleur pour ces terres hostiles à la vie, où les bénévoles n’ont pas réussi à détruire la couche de béton en surface. « Lorsque vous tentez de planter ce que vous voulez, il y a un risque que la nature vous rit au nez, mais le plus souvent elle vous remercie », sourit Marc en pointant du doigt des fraisiers.

Dans les trois prochaines années, ce jardin devrait être autosuffisant. Les arbustes seront devenus des arbres et les graviers restants auront disparu au profit d’un mélange de terre et de copeaux de bois. Le jardin du Climat sera officieusement le seul endroit rafraîchissant pour les riverains du quartier. Marc y travaille chaque jour, il apprend ces méthodes peu académiques auprès de « l’université Youtube », à force de nombreuses heures à visionner des tutos. Cet habitant du quartier depuis 30 ans, se sent investi d’une mission : « compenser le manque de projets environnementaux de la ville. » 

Une mairie écologiste à la traîne 

Tout comme le jardin du Climat, l’autre association environnementale du 8ème arrondissement, Les Amis du compost, est une initiative citoyenne sans lien avec la municipalité. La mairie ne lutte pas activement contre le réchauffement climatique alors même qu’il existe une réelle inquiétude notamment parmi les personnes âgées. Pour Eszter, une sexagénaire, adepte du jardin du Climat pour ses herbes médicinales, l’initiative de Marc est « salvatrice ».

Après une semaine de fortes chaleurs début mai, les riverains redoutent déjà l’arrivée de l’été et ses périodes caniculaires. La majorité des riverains sont issus de classes populaires modestes, ils ne possèdent pas la climatisation et les immeubles anciens n’isolent plus correctement.

Au-delà des températures, Bertha donne des leçons de yoga dans le jardin, cet endroit lui permet de se ressourcer. Une appréciation partagée par Marc qui souhaiterait des « îlots de calme » pour tous.

La politique environnementale de la mairie est fébrile. Pourtant le maire actuel de l’arrondissement András Pikó est affilié au parti écologiste de gauche Párbeszéd (Dialogue). L’une de ses promesses phares était de construire 5000m2 d’espace vert par an. Deux ans et demi après son élection, seuls quelques centaines de mètres carrés sont sortis de terre.

Gábor Erőss, maire adjoint chargé de l’environnement explique cet échec cuisant : « Ce n’était pas réaliste au vu du paysage urbain et le reste de la coalition y est hostile.» Les terrains vagues disponibles, qui auraient pu faire office de jardin, sont le plus souvent rachetés par des promoteurs privés. Une solution plus rentable pour la municipalité, au grand dam de cet élu.

Seule victoire à ses yeux, les propriétaires des immeubles peuvent candidater pour végétaliser les murs. Rien qui ne permette aux riverains de se rafraîchir en cas de forte chaleur. Un manque d’autant plus inquiétant que le jardin du Climat appartient au centre social d’Aurora, menacé de fermeture.

Auróra, « l’ennemi de l’État »

Depuis son arrivée en 2008, Auróra dérange. C’est un centre social dit apolitique aux convictions opposées à celle du pouvoir en place. De nombreuses ONG de défense des droits des minorités y ont installé leurs locaux. L’endroit est qualifié d’ennemi de l’État dans la presse.

Un bar se trouvait dans l’enceinte du centre et au sein du Jardin du Climat à son ouverture.  Ce dernier a rapidement fermé, « Les clients criaient et urinaient dans la rue, évidemment que cela dérange », explique le chargé de l’environnement. Les plaintes du voisinage avaient attiré l’attention de la mairie locale précédente. Aurora et son jardin sont régulièrement contrôlés par le département des affaires administratives. 

La fermeture du bar dans le jardin a été exigée par les pouvoirs publics notamment à cause d’un « excès de 20 centimètres de toitures contraire à la réglementation. » Tandis que le panneau « Bienvenue au Jardin d’Auróra » a dû être retiré car considéré comme un affichage publicitaire non autorisé. Des visites et des mesures incessantes de nature « politique » pour Marc Richard, un sentiment que Gábor Erőss, assis dans la cour d’Auróra une bière à la main, ne contredit pas. 

L’élu chargé de l’environnement, soutien d’Auróra, s’est saisi du problème à son investiture. Gabor Erőss a organisé de longues heures de médiations avec le voisinage et exigé des travaux d’insonorisation. Enfin, Marc Richard a fait pousser des plantes assez hautes pour réduire le bruit. Ces mesures ont conduit à un apaisement des relations entre le centre social et les riverains. Néanmoins Gábor Erőss met en garde : « Au-delà des riverains mécontents, Auróra sera toujours le bouc-émissaire de la droite dure. Il faut être exemplaire. »  Les bénévoles du jardin d’Auróra le savent, la mairie, même écologiste, ne leur fera pas de cadeau. 

Autre problème, le centre social dont dépend le jardin est en difficulté financière. Erik Molnár, directeur financier, regrette que l’endroit ne s’auto suffise pas : « Chaque année, Aurora s’endette de plusieurs milliers d’euros supplémentaires, on survit grâce à notre riche propriétaire qui n’exige rien pour le moment. » Dans trois ans, ce promoteur qui souhaite rester anonyme pourrait légalement augmenter le loyer. Marc soupire « cela signera la fin du centre et de la forêt d’Auróra. »