Identités

Le Mathias Corvinus Collegium, pépinière orbániste de jeunes talents

En plein centre de Budapest, la fondation forme une élite conservatrice amenée à devenir « les dignes représentants de l’élite culturelle, économique et sociale hongroise ». Un projet soutenu et suivi de près par le Premier ministre issu de la droite nationaliste.

Étudiants penchés sur leurs ordinateurs portables dernier cri, poufs de couleur acidulés et bibliothèque moderne en bois clair : le hall du Mathias Corvinus Collegium se rapproche plus d’un incubateur de start-ups à la mode que d’une résidence universitaire.

Dans cette atmosphère ultramoderne, certains détails de la décoration attirent toutefois l’œil. Sur les étagères se côtoient pêle-mêle des atlas sur l’histoire de la Hongrie, la Rhétorique d’Aristote et les essais politiques de penseur nationaliste hongrois du XXe siècle. Dans le café branché du bâtiment, une citation est encadrée : « Le conservatisme relève plus d’un instinct que d’une idée ». Une pensée de Roger Scruton, philosophe anglais, théoricien conservateur qui donne son nom au réfectoire où se réunissent les étudiants pour leur pause déjeuner. Plusieurs bustes à son effigie sont exposés ici et là.

La famille du philosophe Roger Scruton a légué la totalité de la bibliothèque du penseur convervateur au Mathias Corvinus Collegium. © Magyarpart

Préparer la nouvelle génération patriotique

Historiquement situé sur le flanc de la colline Gellert, au sud de Budapest, le Mathias Corvinus Collegium, ou MCC, se veut comme une pépinière de jeunes talents au service de la Hongrie. Les élèves peuvent y suivre des cours du soir gratuitement. D’abord réservé aux étudiants de l’enseignement supérieur, le MCC délivre depuis 2018 des enseignements aux enfants à partir de l’école primaire. 

Sur le site internet de la fondation, la rubrique « notre vision » est équivoque. « Notre objectif est de préparer la nouvelle génération patriotique » amenée à devenir « les dignes représentants de l’élite culturelle, économique et sociale hongroise ». Sur les plaquettes publicitaires qui vantent les programmes de la fondation, on peut lire « Bonus intra, melior exi » (« rentre en homme bon, sors en homme meilleur. »).

Depuis le début des années 2000 et son intégration dans l’Union européenne en 2004, la Hongrie fait face à une fuite des cerveaux de grande ampleur. Selon une étude de l’OCDE publiée en 2017, près d’un million de Hongrois seraient partis tenter leurs chances à l’étranger entre 2006 et 2015. Parmi eux, 75 % étaient âgés de moins de 40 ans. Alors, pour que cette matière grise ne finisse pas aux mains de pays étranger, Viktor Orbán met les petits plats dans les grands.

« Ce n’est en aucun cas du brainwashing »

En décembre 2020, le Mathias Corvinus Collegium aurait reçu plus de 250 millions d’euros de dons du gouvernement de Viktor Orbán, selon la télévision d’opposition hongroise RTL Klub. À la tête de ce projet cocardier, Balacz Orbán, un avocat trentenaire sans lien de parenté avec Viktor Orbán, mais directeur politique du Premier ministre hongrois fraîchement réélu. Sous sa houlette, le MCC veut « (re)construire l’héritage » de la Hongrie. 

Au programme, des cours de sciences politiques, de relations internationales, de droit ou encore d’éducation aux médias. Les plus jeunes étudient également l’anglais ou les sciences naturelles et peuvent participer à des colonies de vacances thématiques. « Ce n’est en aucun cas du brainwashing », se défend Boris Kalnoky, responsable de la chaire d’éducation aux médias de la fondation, attablé au café Scruton. 

Cet ancien correspondant de presse pour Die Welt, le quotidien allemand conservateur, a rejoint il y a un an cette école d’un nouveau genre. « Notre seule ressource naturelle, c’est l’intelligence de notre jeunesse », ajoute le professeur, le regard perçant. Descendant d’une vieille famille aristocratique hongroise, le soixantenaire proche d’Orbán s’est donné pour mission de « rendre le peuple de [ses] origines plus fort ».

Pour l’aristocrate, « le MCC vient juste combler les points faibles de l’éducation traditionnelle ». Alors que l’université n’est qu’une « succession de PowerPoint devant des classes surchargées où les élèves ne peuvent pas s’épanouir véritablement. » Le professeur en est persuadé, cette formation annexe est pour chacun « une grande chance d’évolution ». 

Chaque étudiant de la fondation touche une bourse mensuelle d’environ 250 €, plus de la moitié d’un SMIC hongrois. De plus, les heureux élus sont logés dans un ancien hôtel reconverti en logements universitaires. Au milieu d’un quartier résidentiel cossu, le grand bâtiment blanc accueille plus de 500 pensionnaires. Au sous-sol, les résidents peuvent soulever de la fonte dans une salle de sport ouverte jusque tard dans la nuit, apprendre la salsa dans un studio de danse au parquet ciré ou plonger dans la piscine du bâtiment avant de se détendre dans le sauna privatif.

La salle de sport, le studio de danse et la piscine de la résidence sont accessibles à toute heure du jour et de la nuit. © Magyarpart

« On ne retrouve pas ce genre de logement dans les autres dortoirs étudiants, et encore moins gratuitement », répondent en chœur Abel et Maté, deux étudiants de première année. Dans le couloir qui mène à leur chambre, Abel raconte qu’il a choisi le MCC pour satisfaire « une ambition supérieure ». En entendant ce discours, Viktoria Siklesi, la directrice de la résidence, acquiesce en souriant.

« Ici, c’est vraiment le paradis »

Pour elle, ce programme « est une chance inouïe pour les étudiants des campagnes ou des milieux moins aisés ». Toutefois, les concours d’entrée restent sélectifs. Selon les chiffres de l’établissement, moins d’un tiers des dossiers sont retenus pour intégrer la fondation. L’école se défend d’« une régénération des élites », mais ne met en place aucune mesure de discrimination positive ou de quota.

Assis dans un coin du hall d’accueil, Levente prépare justement son oral d’admission pour intégrer le Mathias Corvinus Collegium. Polo bleu roi et lunettes noires à la Yves Saint Laurent, le lycéen de 18 ans vient tous les jours sur le campus pour « s’imprégner du lieu » avant son concours. Issu d’une famille budapestoise aisée, le jeune homme suit déjà le programme du MCC réservé aux lycéens depuis 3 ans. « Ici, c’est vraiment le paradis, lâche-t-il en levant les yeux de son MacBook. Les cours, les activités, tout est fait pour que les étudiants réussissent. On peut aussi y rencontrer beaucoup de personnalités reconnues ! »

Plusieurs soirs par semaine, le café du MCC se transforme en salle de conférence. Sur l’estrade se succèdent des scientifiques chevronnés, des sportifs de renoms, ainsi que des personnalités politiques hongroises ou étrangères. En octobre 2021, Marion Maréchal était venue défendre sa vision du système éducatif français « en plein effondrement ». Un an auparavant, Éric Zemmour était, lui aussi, reçu pour une rencontre intitulée : « Migration et colonisation ».

« Le MCC est un lieu de convergence des idées, assure Boris Kalnoky. C’est un accélérateur de carrière incroyable. » Car c’est aussi et surtout ce que viennent chercher les élèves du Mathias Corvinus Collegium. Ces trois mots inscrits sur un CV ouvrent les portes des ministères et des plus hautes sphères de l’État hongrois.

Pour Andras, un avocat attablé à la terrasse du MCC, ce réseau le suivra « jusqu’à la mort ». Le jeune homme, tiré à quatre épingles dans son costume cravate, a choisi de reprendre ses études pour doper sa carrière. Zoltan* a, lui aussi, intégré le MCC dans le même but. « Les perspectives d’embauches à la sortie sont nombreuses », glisse le jeune homme en dernière année à l’université. 

Mais dans la salle de sport quasi déserte, le garçon ose un autre discours. « Depuis 2 ans, la relation avec le pouvoir devient de plus en plus étroite. Moi, ça me dérange, mais c’est le prix à payer pour accéder à des postes à responsabilité », souffle l’étudiant en prenant soin de s’assurer que personne n’est assez proche pour entendre sa pensée. Depuis son premier mandat en 1998, Viktor Orbán a progressivement placé ses proches à la tête de plusieurs lieux de pouvoir.

Avant de parler, Szofia* parcourt à son tour la salle commune du dortoir des yeux. La jeune fille de 22 ans lâche tout bas : « Officiellement, il n’y a pas d’idéologie dans les cours. Mais dans les faits, c’est un peu différent. On sait tous ici que Orbán suit la fondation de près. Il était même là à notre cérémonie de rentrée. »

En avril 2022, le gouvernement vient de dévoiler les plans d’un nouveau campus pour le Mathias Corvinus Collegium. Posé sur la colline Gellert, surplombant le Danube, ce nouveau bâtiment aux allures de blockhaus devrait coûter plus de 33 millions d’euros, largement financé par la collectivité et qualifié d’« investissements prioritaires » par le parlement hongrois.

En réaction à cette nouvelle annonce, Bertalan Toth, député de l’opposition, a demandé une enquête d’intérêt public pour plus de transparence dans le management et le financement du MCC. Une débauche de moyen qui passe mal alors que le prix de l’immobilier grimpe en flèche à Budapest, poussant les étudiants à l’extérieur de la capitale. Chaque semestre, 10 000 d’entre eux ne trouveraient pas de place dans les résidences étudiantes. 

*Les prénoms ont été modifiés