Réfugiés

Malgré l’effort des Hongrois, les réfugiés ukrainiens ne font que passer

Dans un pays hostile aux migrants, les Hongrois se retroussent les manches pour faciliter l’arrivée des réfugiés ukrainiens. D’une frontière à l’autre du pays, tout est fait pour fluidifier le passage des réfugiés sous l’impulsion du gouvernement, mais pas pour qu’ils restent.

Les mains derrière le dos, il regarde d’un air préoccupé les quelques dizaines de réfugiés ukrainiens qui descendent du train. Laszlo Helmecsi est le maire de Záhony, une petite ville de 4000 âmes, à la frontière ukraino-hongroise. Pour beaucoup de réfugiés, cette bourgade aux façades ternes et sa gare grisâtre sont une première étape dans une Europe où ils espèrent enfin se sentir en sécurité. 

En trois mois, 176 069 d’entre eux ont défilé dans la grande tente en caoutchouc blanc, devant la gare de Záhony. À l’intérieur, des tables sont disposées en enfilade et au fond des peluches, tapis de jeux, petites voitures et des feutres pour les enfants. Ils s’amusent sous l’œil vigilant de leurs mères, en attendant le prochain train qui les éloignera encore un peu plus de cette Ukraine que la guerre les a forcés à quitter. Les murs de la tente sont recouverts de dessins de chars et de drapeaux ukrainiens. Les enfants qui les ont dessinés sont déjà loin aujourd’hui.  

«Ici, les gens ne restent pas, c’est juste une ville étape pour changer de train et aller ailleurs en Hongrie ou en Europe de l’Ouest.», confirme le maire. Depuis 70 jours, l’édile ouvre la grande tente à 7 heures et la referme à 23 heures. «Avec tout ça, il ne me reste pas beaucoup d’énergie pour faire mon travail de maire.», admet-t-il, assis devant son bol de soupe, une cuillère à la main. Des petits cubes de légumes flottent dans son bouillon encore fumant. 

Depuis le début de la guerre, Laszlo Helmecsi, maire de Záhony, est tous les jours sous la tente qui accueille les réfugiés, à la frontière entre l’Ukraine et la Hongrie. © Magyarpart

«À Záhony, tout repose sur les bénévoles.», soupire-t-il en désignant du menton les quatres femmes qui ont passé le tablier et distribuent les collations aux réfugiés. Une louche dans la main et le sourire aux lèvres, elles sont moins nombreuses à se relayer qu’aux premiers jours de la guerre. 

Ce midi, la soupe s’accompagne d’un pilon de poulet pané et de pommes de terre bouillies empaquetées dans des boîtes en plastique. La nourriture est fournie par l’association américaine World Central Kitchen, tandis que la municipalité loue la tente à l’association italienne CESVI. Les vêtements, les jouets et le soutien moral apporté aux réfugiés ne dépendent que de la générosité des riverains. Du gouvernement, la commune ne reçoit ni aide matérielle, ni consignes. «Tout le monde est fatigué ici, on a besoin de soutien», ajoute le maire. Ici, 80 personnes se relaient depuis bientôt trois mois pour accueillir entre 500 et 700 réfugiés. 

À Záhony, la nourriture provient de dons de l’organisation américaine World Central Kitchen, mobilisée dans tous les pays frontaliers avec l’Ukraine. Elle est servie par les bénévoles, de moins en moins nombreux. © Magyarpart

La commune s’est même organisée pour pouvoir loger la quarantaine d’Ukrainiens arrivés trop tard dans la journée pour pouvoir prendre l’une des deux correspondances quotidiennes vers Budapest. Ils passeront la nuit dans une vieille école primaire aujourd’hui inutilisée. Là encore, lits, couvertures mais aussi machines à laver et les douches construites pour l’occasion ont été financés par des dons et avec le soutien de la Croix-Rouge. Ceux qui arrivent ici ne restent qu’une nuit, avant de monter dans un wagon en direction de la capitale.

Billets de train gratuits

Le gouvernement ne s’occupe pas de l’accueil, mais du transport. Les réfugiés n’ont qu’à présenter leur passeport au guichet de la MAV (la SNCF hongroise) pour bénéficier d’un billet gratuit. 

À Budapest, Robert est pendu à son téléphone : il attend des nouvelles des bénévoles postés dans les gares, pour savoir à quelle heure et d’où arriveront les prochains réfugiés. Il leur affectera une navette adaptée qui les amènera jusqu’à BOK, centre d’accueil de réfugiés situé au cœur de la capitale. «Commencez par leur demander s’ils ont besoin d’aide et offrez leur un sourire», intime Robert à ses troupes lors du briefing matinal quotidien. «On préfère centraliser l’aide à la capitale, cela coûterait trop cher de financer l’aide dans toutes les villes frontalières.», explique-t-il. Ce fonctionnaire aux fines lunettes noires dirige avec efficacité les différents organismes qui collaborent dans l’immense gymnase réquisitionné par le gouvernement. Ici, on accueille surtout les réfugiés qui atteignent Budapest sans avoir de point de chute. 

La machine est bien huilée : les associations religieuses et humanitaires distribuent la nourriture et les vêtements, tandis que d’autres s’occupent de trouver un logement temporaire aux familles ou de prendre en charge les animaux de compagnie. Le tout sous la protection des forces de l’ordre et la supervision des fonctionnaires de l’État. Des fonctionnaires hongrois aux petits soins, bien loin du mur que Viktor Orban avait fait construire à la frontière serbe pour barrer la route aux migrants en 2015. Ici, tout est fait pour bien accueillir et orienter les réfugiés ukrainiens.

Plus de 132 Ukrainiens dans sa maison en trois mois

«En réalité, ils font tout pour qu’ils quittent le pays le plus vite possible», lâche Katia, amère. La franco-hongroise collabore avec l’association Migration Aid, qui place les réfugiés dans des familles hongroises le temps qu’ils trouvent un moyen de quitter le pays. Depuis trois mois, elle combine l’accueil des Ukrainiens avec son emploi dans l’informatique grâce au télétravail. Plus de 132 Ukrainiens ont défilé dans sa grande maison de Monor, près de l’aéroport de Budapest, où elle vit avec son mari et ses trois enfants. 

Ce soir, elle accueille deux familles en même temps. Soit neuf personnes. Une banalité pour Katia : elle peut héberger jusqu’à onze adultes à l’étage de sa maison. Les trois chambres et la salle de bain sont désormais réservées aux réfugiés. «Avec les petits matelas d’appoint pour les enfants, on a déjà hébergé seize personnes à la fois, c’est notre record.», annonce-t-elle fièrement. Partout autour, des piles de serviettes et de draps pliés occupent les étagères et les meubles. «Les voisins m’ont vue dans les journaux hongrois et m’ont apporté du linge de lit, la voisine m’aide pour les lessives. Ça allège la charge de travail et ça rend la situation moins pesante.», assure celle que les réfugiés appellent désormais Mère Thérésa. 

Elle peut également compter sur les aides de la fondation de l’Église baptiste, dont elle a obtenu 200 000 forints (520 euros) en mai. Cet apport n’est pas négligeable : en mars et avril, elle a vu son budget de courses multiplié par trois, avec une dizaine de bouches supplémentaires à nourrir. Alors qu’elle pensait fermer sa maison au moins une semaine en juin, elle y a renoncé. Ses enfants, Csenge, Lukacs, et Tünde se sont vite accommodés de la présence des Ukrainiens. «Si on ne les aide pas, qui le fera ?», lui a un jour demandé son aînée de 13 ans. 

Si les enfants ont boudé la soupe, le repas reste un moment de partage entre tous les habitants de la maison. Autour de la table, les discussions en français se mêlent aux exclamations en ukrainien et en hongrois. © Magyarpart

Ce soir, tous se mettent à table autour de la soupe au poulet qu’ont préparée Dasha et Roslan. Le jeune couple est arrivé il y a une semaine avec leur petit Damir, 7 mois, et leur chat. Ils resteront le temps d’obtenir leur visa pour le Royaume-Uni. Olenna et Oleg ont aussi pris place autour de la table avec leurs trois enfants. La famille, qui a fui le Donbass, se réhabitue tout juste à la vie normale grâce à Katia. «Quand on est arrivés, on sursautait en entendant les avions passer au-dessus de la maison» se souvient Olenna.

Katia s’isole à la fin du repas pour organiser les transferts de ses prochains hôtes et de ceux qui s’apprêtent à quitter sa maison. © Magyarpart

Leur hôte se tient à l’écart, les sourcils froncés devant les conversations WhatsApp qu’affiche son écran d’ordinateur. Olena to Vaucluse, Krakow-Vichy, ou encore Escape Odessa to France : chaque espace de discussion rassemble les bénévoles dispersés dans toute l’Europe. Ensemble, ils organisent les itinéraires des Ukrainiens jusqu’à leur destination de prédilection. Aucun d’entre eux ne quittera Monor avant que Katia ne leur ait trouvé un logement et un emploi. Elle travaille déjà sur le départ d’Oleg et Olena, censés partir le surlendemain pour Apt, dans le sud de la France. «Il faut que tu manges aussi Katia!» lui intime Roslan, l’arrachant à son écran et aux tableaux Excel qui répertorient les correspondances des trains. 

Le dîner s’achève, chaque famille monte se coucher. Katia et Jean, son mari, se retrouvent seuls dans la cuisine. Elle est déjà en train de planifier l’accueil d’une prochaine famille ukrainienne passée par la Roumanie. France, Angleterre, Suisse, ils ne savent pas encore où ils iront. Une seule certitude : ils ne feront que passer en Hongrie.