À Budapest, certains ne veulent plus voir les touristes fêtards
Fatiguée par les touristes en mal d’alcool et de fête, la vie nocturne de Budapest se transforme. Certains gérants de bars et de boîtes de nuit ne veulent plus de ces touristes sans limite.
À l’entrée du Morrison’s 2, une des boîtes de nuit les plus connues de Budapest, Bruno Mars résonne. Au-dessus de la caisse, le compteur annonce déjà 950 personnes dans le club. Deux employés accueillent les clients. « Vous voulez le bracelet avec alcool à volonté ? C’est 6000 forints (15 euros) et vous pouvez boire jusqu’à 3 heures. » Raphaël, 29 ans, acquiesce. Chemise blanche et cheveux gominés à la cire, le jeune homme vient d’Israël pour fêter l’enterrement de vie de garçon d’un de ses amis, pendant 5 jours. Et il est loin d’être un cas isolé. Le principal attrait de la capitale hongroise est le coût de la vie. Ici, la pinte de bière est à 2 euros, voire 1,50 euro et la ville abondent de lieux festifs, notamment ses fameux « ruin bars ». Des bâtiments en pierre, abandonnés et reconvertis en lieux de fête, où les prix sont faibles et où les vacanciers se pressent pour consommer de l’alcool.
« La nuit, il y a deux types de tourisme à Budapest : ce que j’appelle le “tourisme de fête” d’un côté, de l’autre un “tourisme alcoolique” », analyse Gergely Olt. Ce sociologue hongrois, spécialisé dans l’économie de la vie nocturne, a vu les touristes français déferler ces dernières années. « Il y a un film, sorti dans votre pays, qui a donné l’image d’une ville de fête, où tout le monde boit et où on peut faire n’importe quoi », ajoute le sociologue. Interprété par Manu Payet et Jonathan Cohen, le film Budapest raconte l’histoire de deux amis qui organisent des enterrements de vie de garçon dans la capitale hongroise. Une ville où se mêlent prostitution, tirs à la mitraillette, drogue et alcool. La mairie a depuis pris des mesures pour limiter la prolifération de touristes ivres : interdiction de vente d’alcool dans les supermarchés après 22 heures, fermeture des bars à minuit, ou 2 heures maximum — sauf en cas de dérogation — et fermeture des boîtes de nuit à 5 heures.
Pour éviter ces touristes, ils déménagent
Parmi les lieux les plus impactés par les incivilités des voyageurs, les arrondissements V, VI et VII. Situés à Pest, sur la rive gauche du Danube, ces quartiers se vident peu à peu des leurs lieux festifs. Certains patrons de boîtes de nuit et de bars, lassés de voir des touristes vomir à tous les coins de rue ou uriner entre deux voitures, préfèrent s’éloigner du centre pour retrouver une clientèle plus calme et plus fidèle. « Le tourisme de masse, c’est un peu comme les nuées de sauterelles : ça dénature très vite un environnement et ça apporte des problèmes », compare Christophe Urbain. Expatrié à Budapest depuis 30 ans, ce Français a ouvert quatre affaires dans la capitale hongroise. Il a depuis vendu sa salle de concert et l’un de ses deux bars.
D’ici la fin de l’année, il espère vendre Ellátó — qui signifie sustenter en hongrois —, son dernier bar situé à dans le très festif VIIe arrondissement, pour le rapprocher de Manyi, son centre culturel situé à Buda, de l’autre côté du Danube. C’est dans ce dernier qu’il nous accueille. Une partie de la ville où peu de touristes viennent. « Ici je retrouve une clientèle de locaux », justifie le Français. Sur deux étages, ce nouveau lieu se veut à son image : convivial et coloré. Les chaises et les tables viennent de récupérations. Les murs sont peints de toutes les couleurs et tagués de graffiti pour certains, réalisé par « de jeunes artistes qui n’ont pas les moyens de s’exprimer », explique Christophe Urbain. Comme lui, de plus en plus de lieux troquent le centre-ville pour la tranquillité des arrondissements excentrés.
Retrouver sa liberté
Situé dans le XIXe arrondissement, à l’extrémité sud de la ville, Arzenál est le nouveau lieu en vogue de la scène techno hongroise. Cet ancien entrepôt accueille tous les week-ends des DJ du monde entier. Pas de publicité pour la boîte de nuit, pas d’offre d’alcool à volonté. Seuls les habitués, où ceux qui viennent pour sa programmation musicale savent où le trouver. Et pour cause, il n’est accessible ni à pied ni en métro depuis le centre ville. Seule solution, faire 30 minutes de bus. « Ces lieux se sont développés surtout depuis la pandémie. Pendant que tous les pays étaient fermés, les DJ ont pu jouer ici. Ils se sentent reconnaissants et continuent de venir aujourd’hui », explique Clément Carrabin. Installé à Budapest depuis six ans, le DJ, cheveux coupés à ras et anneau à l’oreille gauche, a vu les boîtes de nuit s’excentrer, avec quelques difficultés au début. « Les boîtes en périphérie se développent depuis trois ans. Avant, les gens ne voulaient pas bouger, ça faisait trop loin pour eux ». Puis les fêtards ont compris que cela permettait de retrouver une plus grande liberté, loin des touristes.
Outre une programmation plus internationale et éclectique, ces nouveaux lieux de fête ont renforcé les contrôles d’identité. « Si on voit un groupe de dix mecs, bourrés et habillés en chemise, on sait qu’ils n’ont rien à faire là ! », déclare le DJ français. Ce samedi soir à l’Arzenál, c’est une soirée KINK, le diminutif de « kinky sex », autrement dit « sexualité hors norme » avec un dress code cuir et latex. Les photos et vidéos sont interdites dans cette ancienne usine reconvertie pour que chacun se sente libre, mais aussi pour ne pas que la soirée s’ébruite. « La scène a changé. On est plus proche des standards berlinois. On voit se mélanger des touristes, venus du monde entier pour la musique, et des Hongrois », poursuit CRB, le nom de scène de Clément Carrabin.
Se réinventer… quitte à changer de clientèle
Certains font malgré tout le choix de rester dans le centre de Budapest. Pas de vieilles bâtisses en pierre, mais des rooftops qui offrent une vue sur toute la ville. Sur la douzaine présents dans la capitale hongroise, le 360 Bar propose deux expériences : l’hiver, le bar monte des « igloos », des bulles sur son toit pour accueillir ses clients dedans. L’été, pas de bulles, mais des DJ qui viennent pour mixer sur la terrasse du bâtiment. Les cocktails sont plus chers qu’ailleurs en ville — entre 6 et 8 euros — et le lieu propose aussi de la restauration. Ce mélange permet d’attirer une clientèle plus classe, qui vient pour la qualité plutôt que la quantité.
Dans le même style, les « beer garden » se sont développés ces dernières années. Il s’agit de bars en plein air, où l’on peut acheter des bières, des bouteilles de vin — compter une grosse dizaine d’euros —, de la nourriture, le tout en s’installant sur des tables ou bien directement dans l’herbe. Ouvert en 2016, le Zsiráf est situé à côté de la gare de Budapest-Nyugati, la deuxième plus grande de la ville. Autour, pas de voisins qui pourraient être dérangés, seulement des immeubles de bureaux. Comme pour les autres bars de la ville, le Zsiráf ferme à 2 heures du matin le week-end. Ici, contrairement aux bars ou boîtes traditionnels, les jeunes actifs remplacent les adolescents : la tranche d’âge tourne entre 25-30 ans, contre 20-25 ans pour les autres. Les clients, pour la plupart en chemise, viennent faire la fête sur les soirées à thèmes organisées par le lieu : musique latine le mercredi et musique électronique le samedi. L’ambiance est bon enfant et, à l’inverse des lieux prisés par les touristes en manque d’alcool, pas de vomi à déclarer.
Après 10 années de no-limit, la ville et ses habitants ne veulent plus avoir de haut-le-cœur. Si l’évolution du tourisme va encore prendre du temps, une chose est sûre : les fêtards assoiffés ne sont plus les bienvenus à Budapest.