Résistance

Le baranta, un art martial nationaliste

Influencé par des techniques de combat acquises il y a plus de 1000 ans, cet art martial traditionnel promeut un passé idéalisé et la nostalgie de la « Grande Hongrie ». Quelques jours avant le 22ème championnat national, rencontre à Budapest avec des passionnés.

« On ne doit pas naître Hongrois, mais être Hongrois ! ». Une banderole flotte à l’entrée de la Maison des Hongrois où se réunit le Royal Falcons Club à Budapest. Une dizaine de pratiquants confirmés a rendez-vous pour un entraînement de baranta en ce mercredi ensoleillé. Ce sport résulte d’une composition de plusieurs techniques de combat ancestrales. Tir à l’arc, course poursuite armée, combat de sabre et fouet, lancers d’armes, lutte au sol et debout, course à pied et danses traditionnelles, le baranta mélange neuf disciplines. 

Avant de s’élancer sur les tatamis, les combattants se rejoignent en cercle. A cappella, ils entonnent Palóc, l’hymne du baranta. « Que Dieu nous bénisse tous, tous les vrais hommes hongrois », marque le coup d’envoi de la session. Équipés d’un masque d’escrime, ils enchaînent les coups de sabres en mousse. Chacun doit toucher son adversaire le plus rapidement possible. 

Véritable rituel, l’hymne est un passage obligé avant chaque entraînement de baranta. © Magyarpart

Sur les murs de la Maison des Hongrois, la nostalgie de la « Grande Hongrie » s’affiche. Sur un poster, des mains arrachent les territoires retirés à la Hongrie après le traité de Trianon. Signé en 1920 au Grand Trianon du Château de Versailles, il a acté la dislocation de l’Empire austro-hongrois. Deux tiers de la Hongrie ont été cédés aux vainqueurs de la Première guerre mondiale. Une perte encore douloureuse pour les nostalgiques de la « Grande Hongrie ».

Défendre une certaine vision de la culture hongroise 

Pratiquer ce sport est pour András Kozma, vice-président de l’association nationale, « l’opportunité de diffuser et faire vivre la culture hongroise ». Pour la plupart des pratiquants, cette « culture hongroise » s’apparente à celle de l’Empire austro-hongrois avant la dissolution de l’identité magyare dans le territoire européen. « Il faut être fier de nos rois et nos soldats qui se sont battus pour le pays », assure un autre combattant sur le tatamis. « Le pays a connu beaucoup de défaites. Du XVe siècle jusqu’en 1991 avec la chute de l’URSS, il a été séparé en blocs. Les traditions ont été interdites avant d’être en partie oubliées », déplore András Kozma. 

András Kozma participera au championnat national prévu le 14 mai à Hódmezővásárhely dans le sud du pays. © Magyarpart

Après avoir réussi à toucher son adversaire, l’homme de 24 ans baisse son sabre, recule et se remet en position. « C’est un sport où il n’y a pas d’arbitre. C’est la responsabilité de chacun d’admettre avoir perdu. C’est un moyen d’enseigner à nos enfants le fair-play », assure András, également membre de l’équipe nationale. 

Sur le tatamis, Anna Vanhall manie l’arme avec aisance. Sa queue de cheval emprisonne des cheveux blonds qui balancent sous le casque au rythme des coups de sabre. Issue d’une famille adepte des arts martiaux, la combattante a été séduite il y a dix par l’aspect traditionnel du baranta. « De nos jours, les Hongrois ne sont pas très fiers de leur Histoire. Alors avec ce sport on essaie de véhiculer les valeurs acquises dans le passé comme le respect ou le partage dans la vie de tous les jours », affirme la jeune femme de 24 ans. 

Après avoir enchaîné plusieurs combats, elle confie regretter le peu de filles croisées aux entraînements : « Certaines doivent penser que c’est un sport trop dur et complexe ». Selon l’association nationale, seuls 30% des combattants sont des femmes. 

Après deux heures d’entraînement, les pratiquants se réunissent à nouveau en cercle. Sabres pointés vers le ciel, tous clament en chœur « Húj húj hajrá », un cri de guerre datant du Moyen-Âge pour clôre la session.  

Moins de 300 pratiquants

Dans la forêt de Győr à une heure et demie de la capitale, d’autres adeptes s’entraînent au maniement du fouet et du bâton. Les combattants sont assis autour du coach Miklos Szendrő, l’un des cinq membres de l’équipe nationale. Avant de démarrer la session, l’homme de 23 ans insiste sur l’importance du championnat national prévu le 14 mai . « C’est le meilleur moyen de s’améliorer. La compétition permet de comparer ses performances et savoir si les autres font mieux que vous ». 

Pas d’illusions pour Máté Pápai, huit années de baranta au compteur : « Je suis un petit poids, je n’ai aucune chance en compétition ». Mais « ça reste cool de reproduire les techniques de ses ancêtres. C’est très émouvant », souligne le lycéen. 

Comme à la Maison des Hongrois, l’hymne du baranta marque le début de la session. Le groupe est divisé en deux : le fouet pour les confirmés et le bâton pour les débutants. Dans la forêt, le sifflement des fouets claqués dans l’herbe résonne et surprend certains promeneurs. 

Máté Pápai (en noir) a découvert le baranta grâce à son père et s’entraîne avec Miklos Szendrő (en rouge à gauche). © Magyarpart

Tous s’entraînent de la main droite et gauche. « Cela permet un meilleur développement du cerveau », assure Miklos Szendrő qui empoigne un fouet dans chaque main. En une fraction de seconde, les fouets tournoient au-dessus de sa tête et claquent dans tous les sens. « Avec le bruit on peut faire de la musique. Je viens de jouer une comptine hongroise Boci, boci, tarka (sur une vache tachetée sans oreille ni queue), sourit l’entraîneur, applaudi par des combattants. 

« Quand je coache, je transmets une partie de l’histoire hongroise mais ce n’est pas le plus important pour moi. J’essaie d’aider les pratiquants à développer leur personnalité et leur esprit d’équipe. On forme une vraie communauté », assure l’étudiant en ingénierie vêtu de la tenue traditionnelle de combat. Un pantalon et une longue veste bordeaux aux boutons argentés.

Aujourd’hui, cette communauté perd des adhérents. Moins de 300 Hongrois pratiquent le Baranta, contre environ 1500-2000 avant le Covid-19. « Le fait que ce soit un sport compliqué avec neuf types d’épreuves peut rebuter et la pandémie de Covid-19 a fait perdre beaucoup de pratiquants », justifie András Kozma, vice-président de l’association nationale. 

Sport ou jeu traditionnel

Dans son appartement du 6ème arrondissement de Budapest, Ádám Falatovics huit fois champion national expose ses centaines de trophées et diplômes. Le trentenaire porte un maillot rouge floqué du logo de l’association nationale : un Turul, l’oiseau mythologique Hongrois avec ses deux petits, symbole de la naissance du pays. Selon la légende, cet oiseau aurait guidé les Magyars dans la création de la Hongrie. Ce symbole est aujourd’hui accaparé par l’extrême droite.

Dans le salon de l’ancien président de l’association nationale, rien ne laisse transparaître qu’il a quitté l’organisme l’année dernière. « Le baranta avec mes copains me manque », regrette-t-il enfilant la tenue traditionnelle, sourire aux lèvres. « Aujourd’hui, je ne me retrouve plus dans la manière qu’ils ont de pratiquer ». Pour le professeur d’Histoire du sport à l’université : « Il faudrait que ce soit reconnu comme un vrai sport mais la baranta reste un jeu traditionnel. Beaucoup ne veulent rien changer ».  

Absence de carte médicale pour les adhérents, de certificats officiels pour les entraîneurs, de livres rassemblant les règles qui évoluent au fil des années ou de fédération au même titre que le football… Ádám énumère les manques.

Frustré de ne pas voir le baranta se moderniser, Ádám a créé un nouveau sport. « Je l’ai baptisé Csatárjáték : le jeu du combat. Il y a onze rounds avec des armes similaires à celles du baranta. Mais je veux surtout le faire fonctionner comme un sport moderne », détaille-t-il. Depuis le lancement de son sport, ses relations avec l’association nationale de Baranta sont tendues. 

Danses et chants traditionnels 

Parmi les neuf disciplines du baranta, deux sont consacrées aux danses et chants traditionnels. Tous les vendredis, c’est un rituel à la Maison des Hongrois. Les tatamis laissent place à une piste de danse. Au programme de ce vendredi 13 mai, deux danses traditionnelles : « Kalotaszegi táncok » et « Széki Táncok ».

« Au XIVème siècle, les armes ont été interdites en Hongrie par les Habsbourgs qui craignaient une révolte. Alors pour transmettre les techniques de combat aux enfants, ils ont utilisé la danse. C’est pour ça que j’aime danser, il y a énormément de mouvements, ça m’aide à être meilleur au baranta. En plus il y a de jolies filles », plaisante Dámián Pintér-Rága, étudiant paysagiste et passionné d’Histoire. 

Violonistes et violoncellistes donnent le tempo entrecoupés parfois par les instructions du professeur de danse. Sur la piste, les duos se font et se défont. Les hommes font tournoyer les femmes et tous évoluent en cercle. 

Sur la piste de danses adeptes du baranta ou non, tous vont s’entraîner jusqu’à minuit à la Maison des Hongrois. © Magyarpart

Après une heure de danse, les danseurs s’accordent une pause. Dámián Pintér-Rága attrape un fouet. De la main droite, il le fait glisser en cercle autour de lui pour délimiter la zone à ne pas approcher. Le combattant exécute une suite de mouvements et fait claquer le fouet au sol. 

Après quelques minutes de performance, Dámián invite une danseuse au milieu de la piste. Le fouet claque à sa droite puis à sa gauche sans jamais la toucher. Un dernier coup de fouet délicat enlace la jeune femme, marquant la fin de la performance comme le font les combattants depuis plus de 1000 ans.