Le Ferencváros a fait vivre à ses fans une semaine qu’ils n’oublieront pas. Un titre de champion de Hongrie, un autre en coupe nationale. À Budapest mi-mai, on a pu voir des scènes de liesses. Car malgré les victoires qui s’enchaînent, les amoureux du club ne se lassent pas et savourent leur triomphe sans partage. Ils espèrent maintenant partir à la conquête d’une qualification en Ligue des Champions.

Tout avait pourtant mal commencé. Dans le tramway menant au stade, compter les maillots du Ferencváros est plutôt simple. Les doigts d’une main suffisent. À deux heures du coup d’envoi de cette dernière rencontre de la saison à domicile, le club phare de la ville de Budapest -et même du pays-, n’amasse pas foule, pour l’instant. Rien ne laisse présager une grande fête. Pourtant, les fans enflammeront l’enceinte ultra moderne en ce soir de titre.

En attendant l’effervescence des « inconditionnels », le calme règne. Une petite dizaine d’amoureux du club attendent l’ouverture des grilles. Devant la boutique du club, Tibor Paik, 63 ans, mange un sandwich pour tuer le temps. Pas d’écharpe, pas de maillot aux couleurs du club. C’est à se demander si ce supporter qui vient depuis plus de 30 ans au stade a envie d’être ici.  « Ce n’est pas le match du siècle. Nous sommes déjà champions. Ne vous attendez pas à voir une grande ambiance ce soir », lâche-t-il, d’un air blasé. Ses semblables lui donneront tort d’ici peu. Mais l’homme aux cheveux gris ne se réjouit plus des titres qui s’enchaînent. Ferencváros vient de remporter son 33^ème sacre de champion de Hongrie. Le quatrième de suite.

Contrôle biométrique

À moins d’une heure du coup d’envoi, les supporters sont déjà plus nombreux. Les spectateurs se soumettent un à un au contrôle de leur identité. Et il est drastique. Pour entrer dans la Groupama Aréna, il faut être membre du club. Une inscription est obligatoire, avec l’enregistrement de son identité. Mais aussi une collecte biométrique. Même pour un touriste qui souhaite assister à une seule rencontre. 

Les supporters posent leur main dans une machine. Celle-ci la scanne, et les grilles s’ouvrent s’il s’agit bien du détenteur du ticket. Une solution mise en place par le club dans le but de chasser des profils dérangeants. Car en 2011, quand le Ferencváros est racheté, l’état des tribunes est difficilement défendable. Les actes racistes et homophobes se succèdent. Le club est épinglé par l’UEFA, et sous le coup de lourdes sanctions. « Nous avons dû essayer de changer les mentalités. Quand on a repris le club, il n’y avait aucune politique en matière de discrimination. Et il y avait beaucoup de comportements déplacés et problématiques. Des faits qui n’ont rien à faire dans nos tribunes », regrette Pál Orosz, le directeur général du club.

Mais ce système de contrôle a coûté cher au « Fradi ». Pas financièrement, mais humainement. « Pendant trois ans, les ultras du Ferencváros se sont opposés à la direction. Ils ne voulaient pas se soumettre au contrôle biométrique. Ils refusaient de venir au match », explique Mátyás Szeli, journaliste au quotidien Nemzeti Sport et spécialiste du football. Une situation que justifie Pál Orosz : « On leur a dit : “Si vous respectez la loi et que vous suivez les règles, pourquoi ne voulez-vous pas vous soumettre au contrôle ? Il ne vous arrivera rien.”»

La fronde des supporters a fini par se dissiper. « Ils venaient aux abords du stade pour les matchs et chantaient dans le parc à côté. Je leur ai dit que c’était dommage de chanter pour des arbres et laisser tomber les joueurs. On a trouvé un accord, en fixant des règles. Si on voit un acte raciste d’un ultra, il est banni du stade », complète le directeur général du club. Cet accord exempt une grande partie des ultras du scan biométrique.

Pourtant, la situation n’est pas totalement réglée. Dans les tribunes, des chants anti-tsiganes résonnent encore, comme en cette soirée de titre de champion de Hongrie. Le dirigeant feint l’étonnement. Face à un enregistrement, il promet d’enquêter sur la situation.

« La fête se doit d’être belle »

À une trentaine de minutes du coup d’envoi, les tribunes de la Groupama Aréna sont presque vides. À une exception près : le secteur B. Il s’agit de la zone des ultras. La tribune est quasiment comble. Les supporters commencent à faire du bruit. Très vite, l’ambiance change du tout au tout. Les ultras débutent leur grand spectacle. La soirée s’annonce finalement plus chaude que prévu.

Et la bascule se confirme. Le match se lance dans une frénésie totale. Les supporters du Ferencváros chantent en chœur. Pas de maillot vert, mais un tee-shirt noir sur leurs épaules, ils frappent dans leurs mains à l’unisson. L’un d’eux porte un vêtement frappé de « UEFA mafia ». Viktor (nom changé), porte une casquette et des lunettes de soleil. Il boit une bière à grandes gorgées. « À la fin de la rencontre, nous allons recevoir le trophée. La fête se doit d’être belle. Et nous ne nous lassons jamais de vaincre », bafouille-t-il, dans un anglais fragile. Interrogé sur le parcours chaotique de son club en Europa League (dernier de son groupe, avec seulement trois points), il fronce les sourcils et monte d’un ton : « Cette compétition est truquée, on se moque de finir dernier. Nous voulons juste montrer que nous sommes là. »

Du côté du club, le discours diffère. « L’objectif est déjà de se qualifier pour les phases de groupes. Mais nous voulons surtout sortir de la poule, nous qualifier pour la suite », assure Pál Orosz. Mais pour le journaliste Mátyás Szeli, le Ferencváros est encore loin de pouvoir bien figurer en coupe d’Europe, notamment en Ligue des champions : « Même si Ferencváros est beaucoup plus riche que les autres clubs hongrois, il y a encore un grand fossé avec les gros clubs européens. Ils n’ont pas le niveau pour se battre avec eux. Ils peuvent se qualifier en poule, car dans les barrages, ils affrontent des équipes de niveaux similaires. Mais cela s’arrête là. »

Ce samedi, sur le terrain, le club est rattrapé par la réalité. Les remplaçants sont sur la pelouse. Leur adversaire du jour, le MTK Budapest, joue sa survie en première division. Et le résultat est sans appel. 3-0 pour les visiteurs. Défaite sanglante pour le Ferencváros dans son stade. Malgré le score, les supporters redoublent d’efforts et chantent toujours plus fort. Au moment du coup de sifflet final, la tribune se vide en quelques secondes. Une situation étrange, puisque la remise du trophée de champion de Hongrie est imminente. Puis les chants se font de nouveau entendre. Un brouhaha lointain se rapproche. Ils sortent alors d’une porte au bord de la pelouse et pénètrent sur le terrain.

Ils se placent devant l’estrade mise en place à la fin du match. Fumigènes et confettis s’entremêlent. L’odeur de fumée occupe désormais tout le stade. C’est dans cette ambiance électrique, et malgré la défaite, que fans et joueurs célèbrent un nouveau titre. Ils se donnent rendez-vous quelques jours plus tard pour une nouvelle grande fête. Le Ferencváros joue la finale de la Coupe de Hongrie.

Comme à la maison

Les supporters du Ferencváros se sont donnés rendez-vous non loin de chez eux. Ce mercredi 11 mai, les «Zöld és Fehér» sont en mission à la Puskás Aréna, stade ultra moderne qui a notamment accueilli des matchs de l’Équipe de France à l’Euro 2020. Ils veulent ajouter ici une nouvelle ligne à leur palmarès déjà large. Une 24ᵉ coupe de Hongrie. Le stade de l’équipe nationale est immense : 70 000 places, trois fois plus que la Groupama Aréna. Le remplir est impossible, d’autant plus que les finales de coupe n’attirent jamais la foule. Mais cet après-midi à la Puskás Aréna, le vert est de sortie. Les tribunes aux couleurs rouges des sièges sont à peine visibles. Une marée aux couleurs du Ferencváros se dresse devant le modeste club du Paksi SE.

« Je n’ai pas pu me mettre avec les ultras car toutes les places ont été vendues en un temps record. Je n’ai pas eu le temps d’en prendre », explique István Gönczi, qui se loge d’habitude en plein cœur des ultras. Ce supporter est donc venu seul en virage, et compte faire du bruit pour son équipe. Pour lui, la défaite est interdite : « La saison pourrait être ratée en cas de défaite. Nous devons tout gagner. »

Au coup d’envoi, environ 45 000 personnes ont pris place dans le stade. Très peu supportent Paks. La quasi intégralité est acquise au club de Budapest. Un nuage vert s’invite même sur le terrain et empêche la rencontre de commencer. Les ultras du Ferencváros ont lancé les hostilités avec des fumigènes. Il est désormais impossible de voir le terrain des tribunes.

Après dix minutes, le match peut enfin démarrer. Comme en France, les fumigènes sont pourtant interdits dans les stades hongrois. Mais le club laisse faire. « Ça fait partie de notre deal avec eux. Ils nous disent sur quel match ils veulent en utiliser. S’ils ne le font pas sans nous consulter, on leur dit : “Ok, on règle l’amende, allez y” », confie Pál Orosz.

Dans une atmosphère bouillante, semblable à celle de la Groupama Aréna, les joueurs du Ferencváros maîtrisent leur match. Sur la pelouse comme dans les tribunes, le résultat est large : 3-0 pour le « Fradi ». Le doublé coupe-championnat est validé, une première depuis 18 ans. Après avoir soulevé le trophée lors d’une cérémonie protocolaire, les joueurs du Ferencváros se dirigent instinctivement vers leurs fans. Le capitaine de l’équipe, Dénes Dibusz, leur confie même la coupe, les rejoignant dans les tribunes.

« C’est la meilleure des émotions de tout gagner », exulte Márton Budai, le visage déformé par la joie. Ce jeune supporter du Ferencváros embrasse le maillot de son club qu’il porte fièrement. Il enlace également ses amis. Pourtant, il est habitué aux victoires de son club. Mais pour lui, chaque trophée est unique et suscite une grande émotion. Comme des milliers de d’aficionados, il regarde désormais devant. Car le plus dur reste à faire : « Maintenant, nous devons nous qualifier pour la Champions League la saison prochaine. Ça vaut plus que tous les trophées. »