Le projet pharaonique de Viktor Orbán pour rendre Budapest plus séduisante
Entamé il y a 10 ans, le projet « Liget » de rénovation du bois de Budapest pour le transformer en quartier des musées commence à voir le jour. Musées flambant neufs, terrains de sport et pistes cyclables, le projet un temps décrié par la mairie semble aujourd’hui faire l’unanimité auprès des touristes, mais aussi des Budapestois.
Dès la première salle du musée, Karoline, en vacances à Budapest avec son mari pour une semaine, ne peut s’empêcher de se déhancher au rythme du folk traditionnel hongrois. « Je suis Allemande mais ma grand-mère était Hongroise, alors j’imagine que c’est une sorte d’hommage de danser ici », plaisante-t-elle sous le regard amusé de son mari. Le couple d’une cinquantaine d’années déambule dans les couloirs de la toute nouvelle Maison de la musique hongroise. Inaugurée le 23 janvier, c’est le premier des neuf bâtiments du projet « Liget ». Objectif : créer un quartier de musées au cœur d’un immense espace vert dans Budapest.
Sous la canopée composée de tuiles orangées de ce majestueux bâtiment de 9 000m², touristes et Budapestois embarquent pour une expérience immersive retraçant l’histoire de la musique. Des chants grégoriens du VIe siècle aux plus grands tubes de Madonna en passant par les classiques de Mozart, les visiteurs gardent de la musique dans les oreilles du début à la fin, grâce à un casque audio qui se déclenche automatiquement en fonction de la position du spectateur dans le musée. La visite se termine par un atelier DJ, où chaque visiteur peut s’essayer au mixage.
La culture à l’honneur
Aux platines ce jour-là, un néophyte. Bastien, jeune Bordelais de 24 ans, est en vacances à Budapest pour une semaine avec trois amis de la fac de sociologie. Des petits yeux dûs à « l’énorme soirée » que le jeune homme a fait la veille avec ses amis dans l’une des nombreuses boîtes de nuit de la ville. La visite du musée n’était pas au programme mais « franchement on n’est pas déçus, on a appris pas mal de choses. Et puis ça fera au moins des photos à envoyer aux parents », sourit-il.
4,6 millions de touristes visitent Budapest chaque année selon les chiffres de l’office du tourisme. Un tourisme massif, pour partie attiré par la vie nocturne et festive, notamment les enterrements de vie de garçons, et dont la ville voudrait progressivement se détacher, en développant son offre culturelle. « Nous prévoyons de mettre principalement en avant l’Opéra de Budapest (qui vient d’être rénové, NDLR), la maison de la musique et le château de Budapest dans nos campagnes de publicités en 2022 », confirme Eszter Uzoni, responsable des stratégies de communication à l’office de tourisme de Budapest. La ville entend également élargir son offre d’hôtellerie haut de gamme pour s’adapter à ce nouveau tourisme. Selon l’office du tourisme, sur les 25 nouveaux hôtels qui seront construits dans la capitale hongroise en 2022, « une grande majorité seront des quatre ou cinq étoiles ».
Neufs bâtiments en construction
Attirer de nouveaux touristes, plus aisés, via la culture. Tel est le mantra de l’immense projet « Liget Budapest », littéralement le « Bois de Ville » en français, lancé en 2012 par le gouvernement. Présenté par l’office de tourisme comme le « plus grand projet de développement culturel urbain en Europe », il a pour vocation de créer un véritable quartier des musées dans le bois de Budapest. La maison de la musique est le premier bâtiment en date à voir le jour. Il sera bientôt suivi par le musée de l’Ethnographie. Le bâtiment, encore en travaux, mais déjà bien avancé, sera gigantesque : imaginez deux immenses rampes d’environ 100 mètres de long, style piste de saut à ski, face à face, avec entre les deux une sculpture d’une dizaine de mètres de haut : c’est le premier musée de l’Ethnographie européen. À quelques mètres de là, le Városligeti Színház, le « Théâtre du Bois de Ville », attend de recevoir sa première pierre. Le bâtiment a été entièrement rasé pour être reconstruit quasiment à l’identique.
Au total, neufs bâtiments sont prévus à travers tout le bois. « C’est encore tout nouveau, on n’a même pas encore mis tous les panneaux », s’amuse József, employé de la ville. Casquette sur la tête pour se protéger du soleil, il achève de décoller les autocollants indicatifs qui ornent les nouveaux plans du parc. « Quand vous regardez les plans qui étaient dans le parc avant les rénovations (il nous montre celui qu’il vient d’enlever), ça n’a plus rien à voir, ça donne beaucoup plus envie », constate-il. Sur l’ancien plan, difficile en effet de reconnaître l’immense parc aujourd’hui flambant neuf
Nouveau lieu de vie pour les habitants
Peu fréquenté par les habitants avant le début des rénovations, le Bois de Ville, situé à deux pas des célèbres thermes Széchenyi au nord-est du centre-ville, est aujourd’hui un lieu de vie incontournable. Sur les allées piétonnes qui ont été aménagées, familles et enfants déambulent paisiblement sous l’ombre des immenses arbres qui émaillent le parc. Certains s’arrêtent quelques instants pour profiter du beau temps sur les grandes pelouses, aussi bien tondues qu’un golf anglais. Un petit peu plus loin, un groupe de cyclistes profite des pistes cyclables qui longent parallèlement les voix pédestres, le tout dans un silence reposant qui ferait presque oublier que le Varosliget se situe en plein milieu de la ville. Seuls les cris des sportifs sur les terrains de sports flambants neufs qui ont poussé un peu partout viennent interrompre le calme du lieu. « Je viens tout le temps faire du basket avec mon petit frère », raconte Viktor, étudiant en histoire à l’université de Budapest. Le jeune homme de 24 ans remarque croiser de plus en plus de touristes dans ce lieu autrefois délaissé : « Pouvoir se balader sous les arbres et se couper un petit peu de la ville, c’est cela qui attire les gens. Quand on est touristes et qu’il fait beau, on a envie de profiter de ce genre de parc », déduit-il en faisant rebondir sa balle orange.
Mais s’il semble aujourd’hui faire l’unanimité, le projet Liget a d’abord suscité une large défiance. À commencer par celle de Gergely Karácsony, l’actuel maire de gauche de Budapest et ancien maire du 14e arrondissement qui accueille le bois de ville. Dès son élection à l’automne 2019, ce dernier avait demandé l’arrêt des constructions, mettant en avant le fait que les habitants de Budapest « ne voulaient pas de ce projet imposé ». L’argument écologique était aussi fréquemment mis sur la table, la municipalité de gauche ne souhaitant pas que cet espace vert soit entravé par de nouveaux bâtiments. Quelques mois plus tard, les premières infrastructures désormais sorties de terre, ce scepticisme paraît bien loin. Même si Gergely Karacsony ne s’est pas rendu à l’inauguration de la maison de la musique il y a trois mois, une grande partie de l’opinion publique est conquise par le nouveau Varosliget, jadis théâtre de l’installation d’une ZAD le rendant inaccessible au public.
Car ce mardi, sous le soleil de mai, beaucoup d’ados profitent du beau temps pour taper dans la balle. Un petit peu plus loin, de jeunes enfants profitent d’un immense espace de jeu qui leur est dédié. Du haut de leur mètre trente, ces jeunes enfants paraissent être minuscules à côté des immenses toboggans qui feraient presque penser à des attractions de fête foraine. Emmitouflée dans son écharpe blanche malgré la chaleur, Dóra surveille attentivement sa fille de 4 ans qui bataille pour se faire une place à l’entrée du plus grand toboggan de l’air de jeu. « Elle adore venir ici. Au début, je n’étais pas particulièrement favorable à tous ces travaux dans le bois, pour des raisons écologiques. Mais il faut reconnaître qu’ils ont fait du bon travail », concède-t- elle.
Ce « bon travail », Dalma en profite aussi une fois par semaine, cette étudiante en droit vient faire courir son petit cocker sur l’un des deux parcours canins aménagés à l’est du parc. « Je ne pensais pas qu’ils iraient jusqu’à penser aux chiens », rigole-t- elle à gorge déployée. Les Budapestois et leurs chiens sont satisfaits du Varosliget. Reste à voir si les touristes du monde entier suivront dans les prochaines années.