Kultura

Budapest, cap sur un Hollywood bon marché

Clap de cinéma, « Action ! », « Ça tourne » : ces formules n’ont pas le même coût à Hollywood et à Budapest. En Hongrie, l’industrie du cinéma attire les productions du monde entier. Des plateaux de tournage aux bureaux des sociétés de production, on découvre une offre à bas coût pour des conditions de travail presque idéales.

Scène 27, prise 892 : une fourmilière en « Action ! ». Sur un tournage de cinéma, chacun a son rôle et sait ce qu’il doit faire, tout est assez organisé. La petite ville de Sopron, dans l’extrême nord-ouest de la Hongrie, accueille, en partie, la réalisation de l’un des « plus grands films hongrois jamais réalisés » selon son réalisateur Balázs Lóth. Au détour d’une rue pavée du bourg de 60 000 âmes, un petit immeuble au vert déteint par le temps sort du lot. Le bâtiment, abandonné pendant plusieurs années, a été remis au goût de 1848. Une fois le perron de l’immeuble passé, la centaine de fourmis présentes – acteurs, techniciens, maquilleurs et autres petites mains du tournage – sont plongées au milieu du XIXe siècle. Et chaque détail compte pour ce retour dans le passé : de l’effet brumeux dans une pièce par la vaporisation d’une fumée au positionnement d’une pomme sur la table déplacée par l’équipe du chef décorateur. Chaque minute et chaque plan a également son importance : une minute dans le film peut prendre plusieurs heures de tournage. Cet été, l’équipe filmera des scènes à grands moyens aux alentours de la capitale, Budapest. 6 000 figurants seront mobilisés. Ils gagnent de « bons salaires » selon Balázs Lóth, le réalisateur. Au minimum, 10 000 forints, la monnaie locale, soit 25 euros par jour. Comme les autres équipes derrière la caméra, ils sont payés par les productions hongroises au même niveau que les étrangers, « sinon, ils vont chez les Américains » analyse le réalisateur de l’épopée hongroise.

Balázs Lóth réalise un film autour du poète hongrois Sándor Petőfi, considéré comme l’un des principaux inspirateurs de la révolution hongroise de 1848. © Magyapart

Astérix, Obélix et Dany Boon en Hongrie

Budapest et le reste de la Hongrie, terres de productions cinématographiques, sont aussi une terre d’accueil pour le cinéma étranger. Black Widow de Cate Shortland, Dune de Denis Villeneuve ou Seul sur mars avec Matt Damon ont été tournés dans les studios autour de Budapest. Des films français comme La Promesse de l’aube d’Eric Barbier, Astérix et Obélix : au service de sa Majesté de Laurent Tirard et Supercondriaque de Dany Boon ont également été filmés partiellement en Hongrie. Emese Hunyádi, productrice exécutive basée à Budapest, travaille avec les productions hexagonales et a notamment collaboré sur ces trois films français. En tant que productrice exécutive, elle est responsable de ce qui se passe dans le pays d’accueil, la Hongrie. Toutes les décisions artistiques sont françaises, Emese Hunyádi s’occupe de fournir des sous-traitants. C’est dans le New York Café de Budapest, un lieu de tournage parmi d’autres dans la ville, qu’Emese s’est installée sur fond de musique classique. Cet endroit à l’ambiance luxueuse, où le marbre détonne par sa présence jusque dans les détails, attire des touristes en nombre et a pu aussi accueillir une scène du film Bel Ami avec Robert Pattinson ou Die Hard : belle journée pour mourir avec Bruce Willis. Les productions françaises consultent la productrice avec leur projet. « On vient me voir avec un scénario, je le lis et vois si c’est possible de réaliser en Hongrie » rapporte Emese Hunyádi. Une fois le scénario validé, la productrice s’occupe de monter un budget avant d’envoyer un dossier au bureau du film hongrois. « Il n’y a pas de refus, seuls les pornos, émissions de télévision et publicités ne sont pas éligibles » précise la productrice. Certes, Budapest et le reste de la Hongrie sont des destinations attrayantes pour les réalisateurs français, mais Mme Hunyádi rappelle que les productions consultent tout de même d’autres pays d’Europe centrale comme la Pologne, la Serbie ou la Roumanie. Le choix de la Hongrie est résumé par un triptyque pour Emese Hunyádi : « relationnel – artistique – argent ».

Entre argent, architecture et réseau

Du relationnel, de l’artistique et de l’argent. Nombreuses sont les raisons qui justifient le choix de la Hongrie et de Budapest pour venir tourner son film. La principale raison de l’attractivité est financière. Pour toute dépense en Hongrie pour un film, étranger ou local, une réduction de 30% est établie. « En plus, le système est transparent, pas besoin d’attendre longtemps pour que l’argent arrive » développe Balázs Zachar, producteur indépendant. Il a travaillé, à partir de 2003, pour le ministère hongrois de la Culture et a été l’un des coordinateurs de la loi sur les films en 2004. La base de ce texte voulu par le gouvernement était la réduction de taxes à hauteur de 20% à l’époque : « Sans minimum ni maximum de dépenses ». Depuis cette réforme, la Hongrie accueille de plus en plus de films. « Cela a pris du temps jusqu’à ce que le système gagne de la confiance » analyse le producteur. 

Avant 2004, la Hongrie et particulièrement Budapest étaient déjà attractives pour la diversité des lieux et l’architecture. « Il y a ce système d’utiliser la place publique comme lieu de tournage » explique Balázs Zachar. Une place publique aux différentes facettes : Budapest peut à la fois être Brooklyn et New York, l’Italie ou l’Espagne, Paris ou l’Europe centrale. Une ville couteau-suisse qui attire les productions étrangères alors que cela coûte moins cher d’imiter Paris en Hongrie que de filmer directement dans la capitale française. Même constat financier pour les studios Origo et Korda en banlieue de Budapest, où une offre globale de tournage et de post-production est aussi proposée. 

Budapest peut à la fois être Brooklyn et New York, l’Italie ou l’Espagne, Paris ou l’Europe centrale.

Dániel Kozma est un peu à l’image de la ville de Budapest : couteau-suisse. À la fois figurant pendant plusieurs années, traducteur d’ouvrages en anglais. Ce Hongrois au français presque parfait a une autre activité à son actif, il se rend à un cours d’écriture de scénario de séries dans un bâtiment niché au cœur d’une cour, dont le calme contraste avec le bruit du reste du centre-ville. Dániel a eu des expériences sur des productions internationales en tant que figurant notamment. Pour lui, une autre raison de l’intérêt des productions étrangères pour la Hongrie est la main-d’œuvre qualifiée et organisée. « Il y a des entreprises en réseau : pour louer des caméras de qualité, pour trouver des cascadeurs qualifiés, il y a des agences d’acteurs et de figurants ». Il en va de même pour les maquilleurs, coiffeurs, costumiers et petites mains des tournages. 

Ce réseau, développé pour le cinéma, fait écho à l’adaptation de la société pour accueillir les productions étrangères. Pour Emese Hunyádi, « tous les services utilisés par le cinéma se sont mis à la hauteur, comme les hôtels ou les prestations de services ». C’est le cas du groupe BrodyLand éparpillé au centre-ville de Budapest. Différents lieux avec un concept : réunir l’art et, lors de tournages, loger les équipes dans l’hôtel la nuit et offrir des décors le jour. Peter Grundberg, l’un des concepteurs des lieux, fait le tour de la « Brody House », un « lieu de vie, de communauté » et un lieu qui s’est adapté au cinéma et à l’art. Le bâtiment offre quelques chambres « avec un esprit artistique » et aux décors épurés et recyclés que les équipes réduites de films pourront utiliser. Alors que l’équipe réduite du film Dune a dormi dans ce lieu à l’art omniprésent, la série FBI International tournée en Hongrie a déjà utilisé « The Studios » pour quelques scènes. Lieu de communauté et de réseau, « The Workshop », l’un des quatre piliers du BrodyLand, accueillait une soirée caritative pour l’Ukraine. Au programme : réseautage et vie autour de cinéma et vins ukrainiens.

Des figurants quatre fois moins chers qu’en France

La société se met au niveau des tournages alors que 90% des équipes sont hongroises selon Dániel Kozma : « L’équipe centrale avec les acteurs principaux vient des Etats-Unis mais les autres sont d’ici ». Les autres sont les petites mains des tournages, les équipes derrière les caméras et les figurants, moins chers sur place. Dániel Kozma a été figurant une dizaine d’années et a travaillé à différents niveaux. Selon lui, avec l’abondance des tournages, ce type de rôle est devenu un métier. « Si on veut gagner sa vie comme ça, on peut travailler 30 jours par mois, si on a du réseau » détaille-t-il. Une journée de travail au premier niveau – ce qui correspond à un rôle de figurant de base dans une scène de masse – rapporte 10 000 forints, environ 25 €. Il faudrait donc travailler un mois complet, week-ends compris, pour atteindre le salaire médian hongrois de 750 €. Le dernier niveau de figuration, appelé « small part » se situe entre figurant et acteur. Ici, le figurant est davantage sélectionné car il aura une interaction, visuelle ou verbale, avec un des acteurs. Le salaire se situe entre 22 000 et 40 000 forints, soit entre 57 et 100 euros. En France, un figurant de base est lui payé entre 80 et 100 euros.

Lui est plus figurine que figurant. Jonathan Halperyn est producteur à Budapest, au sein de la société Hero Squared, homonyme d’une bande dessinée. L’univers de son bureau oscille entre la bande dessinée et l’univers américain Marvel, avec des figurines et des tableaux. Il a travaillé sur des films internationaux comme World War Z avec Brad Pitt ou Red Sparrow avec Jennifer Lawrence. Le producteur, bol de céréales en main, constate une concurrence avec les pays voisins d’Europe centrale qui veulent également attirer les productions étrangères mais met surtout en avant une autre dynamique : le fait que certains acteurs veulent de plus en plus rester à la maison. Tourner à l’étranger est certes moins cher mais la volonté des stars principales de demeurer près de leur famille compte de plus en plus.